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Troubles cognitifs : elle en fait trop... elle est méchante... elle est folle !

16/05/2013
Auteur : Melle Hantouche

Cas cliniques > Traitement / prise en charge

Les troubles bipolaires et les troubles cognitifs peuvent se superposer. Faire disparaître les symptômes de bipolarité permet dʼidentifier les troubles cognitifs.
Voici mon historique, ou mon CV de bipolaire

14 ans, début à priori de la manifestation de la maladie, qui ressemble à un fonctionnement mono maniaque. Avant jʼétais une petite fille très active mais pas sûre dʼelle …
En effet, jusquʼà 35 ans ce comportement ne cesse de sʼintensifier et dʼévoluer dans sa forme. En plus de lʼécole et de lʼaide à la maison (6 enfants … je suis lʼainée), je mʼinvestis beaucoup jusquʼà 18 ans, dans une association où je mʼoccupe dʼenfants … et lʼannée du bac jʼai pris en charge, en plus, un enfant ayant de gros problèmes de sociaux et de comportements (il mʼa fallu, aussi, aider sa maman).

18 ans, départ sur Paris pour « fuir » ma famille qui elle, aussi, avait du mal à supporter mes modes de fonctionnement.
Recherche dʼemploi à toute vitesse … après 2 jours un premier poste et puis jʼai changé une dizaine de fois jusquʼà me poser (au bout de 2 mois).
A cette nouvelle suractivité mon niveau dʼexigence pour moi et bien sûr pour les autres augmente … je suis de plus impatiente et je deviens agressive.
Jʼétais considérée comme quelquʼun de volontaire, rapide, efficace, créatif, investi … mais aussi trop exigeant, quelques fois méchant voire violent.

35 ans, après la naissance de mon premier enfant, de mon deuxième mariage (je ne supportais plus mon premier mari … il nʼarrivait plus à me suivre), commence de légères phases de dépression au milieu dʼune suractivité toujours plus forte (je ne me suis pas beaucoup occupée de ma fille … tout mon temps et toute mon énergie sont réservés au travail … cʼest ma passion … ma vie !).

38 ans, après la naissance de mon fils (là encore je nʼétais pas très présente) lʼétat bipolaire devient de plus en plus flagrant. Mon médecin généraliste constate des hauts ainsi que des bas importants et me recommande un psychiatre qui me traite comme tous ses patients bipolaires avec du lithium.
Et là la machine infernale se met en place pour plusieurs années … les variations maniaques et dépressives sʼintensifient, elles sʼinstallent, en gros, sur des cycles 6 mois-boulot à fond / 6 mois-au fond du lit (« secoue toi, fait des efforts, fait du ménage ça donne la forme … me recommande ma mère » !). Le traitement qui est souvent augmenté ne semble pas mʼaider.
De plus, les phases maniaques se terminent par un état insupportable pour moi et mes proches (mon mari est mon « pushing-ball » et mes enfants sont spectateurs), notamment une agressivité extrême et des pensées importantes de suicide ...
Ce cycle infernal continu pendant 5 ans, avec en plus un état mixte (maniaque/dépressive en même temps) qui apparaît et mon psychiatre me recommande de prendre un second avis.

43 ans, enfin une prise en charge qui tient compte du type de bipolarité (BP III). En effet, le lithium nʼest pas adapté dans mon cas. Mon traitement à base de LAMICTAL (actif sur la dominance de polarité dépressive et anxieuse dans mon cas) complété, notamment, par un antidépresseur calme le jeu, en début de phase maniaque je vis presque comme tout le monde … Mais jʼai encore de longues périodes dʼarrêt maladie et ensuite de travail à temps partiel (80%).

49 ans, après une très grosse crise maniaque (après une phase où jʼai décidé dʼarrêter mon traitement) qui se termine par un internement de 3 semaines à ma demande, nous avons décidé que je travaillerai à mi-temps et de mon côté jʼai décidé de changer de poste dans mon entreprise afin de me désinvestir du travail. En effet, mon environnement a beaucoup dʼeffet sur moi et en ce qui concerne le travail mon investissement mʼamène à auto-générer un stress important qui alimente mon état maniaque.

50 ans, cela fait, maintenant 8 mois que je suis stable avec quelques petits pics maniaques de quelques jours. Je travaille un jour sur deux ce qui évite que la pression monte au travail car les journées sont efficaces … à ma manière !
Avec un traitement moins fort quʼavant, le travail à mi-temps, le désinvestissement dans le travail que jʼai choisi, le plaisir de retrouver une famille équilibrée et la découverte dʼactivité qui me font du bien me permettent de revivre. Je profite de chaque jour comme un trésor.
Je vais bien.

En 2013, à 50 ans, on me prescrit une évaluation neuropsychologique et cognitive car je commençais à mʼinquiéter sérieusement sur lʼévolution de mes difficultés dʼattention (plus intenses et plus persistants quʼavant) ; de plus jʼavais le sentiments de retrouver des difficultés cognitives que je présentais dans mon enfance et qui mʼinvalidaient au quotidien.

Voici le rapport de mes tests neuropsychologiques :


Au total, efficience cognitive globale préservée, malgré la présence de troubles attentionnels (déficit dʼattention soutenue et de vigilance au test CPT-II), mnésiques (capacités affaiblies de restitution immédiate et différée dʼun récit et perte de lʼinformation après introduction dʼun délai) et exécutifs modérés (défaut de mémoire en modalité visuelle lors des rappels immédiats dʼorigine exécutive et attentionnelle contrastant avec des performance correctes) ; absence dʼatteinte instrumentale ; bonnes capacités de flexibilité spontanée et réactive…
Ces difficultés cognitives, présente depuis de nombreuses années et certainement majorées par le traitement médicamenteux, ont été possiblement masquées par lʼétat cyclothymique, anxieux et dépressif récurrent (et difficilement équilibré pendant longtemps).
Actuellement, la stabilité clinique a probablement entrainé une perception accrue des difficultés cognitives. Une prise en charge type TCC axée sur la perception et lʼacceptation des manifestations cognitives serait bénéfique. Dans un second temps, si le retentissement des difficultés cognitives persiste, une prise en charge de remédiation cognitive pourrait être envisagée.

Commentaire CTAH



Ce cas illustre bien la présence des troubles cognitifs qui peuvent
  • survenir assez tôt dans la vie des patients bipolaires (cf document du Dr Coudé – lien)
  • le fait que les dérèglements cognitifs soient plus visibles et surtout rappellent la patiente des difficultés similaires présentes dans lʼenfance, est en faveur de lʼhypothèse arguant le rôle prémorbide des troubles cognitifs (comme facteur de risque ou comme manifestation ultra précoce de la bipolarité, à envisager comme un « stade I » du trouble bipolaire)
  • accompagner le trouble bipolaire dans son évolution et sʼaggraver avec une récurrence et une chronicité des manifestations bipolaires (en lʼabsence de diagnostic précis et de traitement adapté et bien dosé)
  • être masqués par les émotions hypomaniaques (forte compensation) et dépressives (en second plan en raison du ralentissement psychomoteur et lʼapathie) ; il est ainsi important de tenir compte dans lʼévaluation cognitive des mécanismes de compensation et de résilience des patients bipolaires(des mécanismes qui sont en grande partie dépendants du tempérament dominant)
  • être plus visibles avec un traitement correct et adapté (ça paraît paradoxal mais tout à fait compréhensif si lʼon accepte lʼindépendance des troubles cognitifs par rapport aux manifestations purement cliniques de la bipolarité) – ce qui donne la possibilité au patient de le percevoir et les identifier ;
  • faire lʼobjet dʼun travail psychologique dʼ« acceptation » et dʼadaptation de son mode de vie et de fonctionnement en fonction de ces difficultés et dʼune hiérarchisation des valeurs personnelles (privilégier les valeurs de la famille et alléger lʼinvestissement dans le travail)


mai 2013


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