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La gestion émotionnelle des cyclothymiques

23/05/2012
Auteur : Melle Majdalani

Cas cliniques > Etude de cas

A partir dʼun diagnostic, Maria va apprendre à gérer toutes ses émotions de cyclothymique.
Au cœur du processus éducatif, autant familial que scolaire, nous apprenons avec des codes sociaux assez spécifiques à la culture et au milieu dans lequel nous évoluons, à marcher, à parler, à écrire, à compter, à nommer les choses et à qualifier les hommes qui nous entourent etc.
Cependant, nous ne sommes pas suffisamment armés ou même préparés, en tout cas pas de manière directe, à gérer des flots émotionnels importants, à les contenir et à différer leurs manifestations.
Vous n’êtes pas sans savoir que l’expression émotionnelle de manière générale, peut troubler le profane, d’autant plus si elle est communiquée intensément. Face à un déferlement non contenu, certains crient à l’hystérie, à l’absence d’éducation et de limites. L’intensité émotionnelle susciterait l’appréhension, la crainte voire la peur. Et on est gentiment invité à « évacuer », autant au sens propre qu’au sens figuré du terme.

Il y aurait une sorte de consensus officieux établi sur les émotions : on ne pourrait en exprimer qu’une quantité limitée, qui ne serait pas « autorisée » n’importe quand, n’importe où, encore moins n’importe comment avec n’importe qui ! Or la problématique des troubles de l’humeur et plus particulièrement de la cyclothymie rompt avec cet « accord » collectif implicite, nous plongeant au cœur des émotions anarchiques et de leurs méandres. La cyclothymie nous offre des paysages émotionnels à vous couper le souffle : réactions affectives extrêmes, tsunamis spectaculaires, montagnes russes vertigineuses, multitudes de secousses quotidiennes séduisantes mais à la longue épuisantes et source d’une grande souffrance.

Savoir qui vous êtes et accepter vos origines « affectives » sans jugement et tenter de casser la dictature émotionnelle :
  • Prendre des régulateurs d’humeur si nécessaire

  • Comprendre comment vous fonctionnez (identifier les déclencheurs autant des grandes vagues émotionnelles que des petites)

  • Soigner son hygiène de vie (rythme et respect du sommeil)

  • Identifier ses mécanismes de pensée distordus et les modifier

  • Repérer les schémas émotionnels dysfonctionnels responsables de problèmes autant dans la vie affective et dans le secteur professionnel et œuvrer à leur assouplissement

  • Cas de Maria


    Lʼhistoire vue par Maria


    Maria a 32 ans. En couple depuis 3 ans, elle est analyste financière dans une boîte prestigieuse de gestion de fonds. Elle est originaire d’une famille modeste : le père est boulanger et la mère institutrice. Elle aurait tellement aimé être issue d’un milieu privilégié « avec un père chef d’entreprise et une mère avocate ». C’est un sentiment de blessure narcissique qu’elle décrit vis-à-vis de son fantasme de famille idéale.
    L’histoire de Maria est scandée majoritairement par problèmes relationnels qui auraient vu le jour selon elle, dans sa famille qui a toujours préférée son frère de deux ans son cadet. « Ma mère a toujours préféré mon frère et j’en ai souffert depuis toujours ».

    Maria est suivie par des « psy depuis l’âge de 18 ans » : de la thérapie familiale en passant les 5 psychothérapies individuelles et les 10 psychiatres qu’elle a consulté, « j’ai ingurgité des cocktails d’AD très variés et très créatifs » par moments qui m’ont « fait beaucoup de bien et par d’autres beaucoup de mal ». Toutes ces thérapies ont majoritairement tourné autour du même pot ; « cela m’a permis d’évacuer une souffrance qui est cependant toujours là et toujours aussi active ». « Je me suis un peu résignée à une sorte de blessure qui ne se colmatera jamais »

    L’histoire sous l’angle de la cyclothymie


    L’exploration du trouble de l’humeur
    Après une évaluation psychologique complète, le diagnostic de cyclothymie a été posé, mais non communiqué à la patiente (cf. Séance 3)
  • Maria présente des variations d’humeur extrême quasi-quotidiennes, passant très vite de la joie à l’irritabilité, de la sérénité « à la totale angoisse ».

  • La cyclothymie de Maria est de type anxio-dépressif, prédominée par des ruminations mentales; « je connais principalement des périodes où à la fois je suis très triste et très anxieuse : je peux avoir même des idées où j’ai envie de me foutre en l’air. Et je rumine sans cesse mes problèmes ».

  • Elle est ponctuée de brefs moments hypomaniaques (avec majoration de l’énergie entraînant des heures de travail interminables, avec réduction du besoin de sommeil, majoration de l’estime de soi et perception très positive de soi).

  • De plus, notre jeune patiente présente un trouble du schéma corporel. Elle a très souvent besoin de se rassurer sur son physique, sa beauté et sa capacité de séduction. Cela se traduit par :
    « je change de tenues vestimentaires plusieurs fois dans la journée »
    « je me pèse tous les jours »
    « je m’arrange pour demander aux autres si je leur plais ».

    Par ailleurs, Maria est également très timide, même si cela est à prime abord difficile à deviner. Cette timidité excessive handicape ces relations et surtout, est source d’une grande souffrance psychique.

    Son père a été diagnostiqué bipolaire mais a toujours refusé de se soigner. Maria affirme avoir évolué dans un environnement bipolaire alternance entre des moments où le père sort le champagne avec dʼautres où reste enfermé dans sa chambre

    Le tempérament
    Maria se décrit comme étant de nature instable émotionnellement « depuis toujours » ; « je suis surtout la reine des hypersensibles ». « J’ai longtemps été considérée comme une lunatique », « à prendre avec des pincettes », une « éponge émotionnelle » intrinsèquement composée de culpabilité
    Une estime de soi très fragile est notée ainsi qu’une dépendance affective avec la mère (sous-tendue par une peur excessive du rejet avec jalousie excessive vis-à-vis du frère qui serait le référé des parents).

    La rencontre avec le psychiatre


    Le vécu est conté par Maria qui affirme que « sur le moment, tout s’est très bien passé ». « J’étais très rassurée par le diagnostic (…) J’ai enfin compris ce dont je souffrais (…). Je me disais bien au fond de moi que l’histoire de mon frère n’était pas suffisante à expliquer l’ampleur de ma souffrance ».

    Etablir un diagnostic de cyclothymie a permis d’instaurer un traitement pharmacologique combiné : un thymorégulateur (destiné à aider à stabiliser les variations extrêmes) accompagné d’un anti-dépresseur (qui cible notamment les ruminations mentales)

    Quelques thèmes de psychotérapie


    Quand Maria a démarré, sa psychothérapie, elle était très en colère. Le soulagement ressenti après l’annonce du diagnostic a très vite laissé la place à cette émotion exprimée avec beaucoup de véhémence. Elle en voulait à son ancien psy qui durant toutes ses années n’a pas tenu compte de ces oscillations thymiques. Une fois la colère passée, elle a éprouvé également un sentiment d’injustice et l’impression que la cyclothymie diminuait voire niait tout ce qu’elle a pu vivre au sein de sa famille. « J’espère que vous ne voulez pas dire que la cyclothymie justifie le comportement de ma mère. Je vous assure qu’elle préférait mon frère. Moi j’ai tout fait pour faire changer ça et je n’ai pas réussi ».

    Psychoéducation


    Plusieurs séances sont consacrées à ce sujet où évidemment il ne s’agissait pas de justifier le comportement de qui que ce soit mais d’apporter un éclairage différent à la perception de sa propre histoire. Le comportement de la mère de Maria vis-à-vis du frère a renforcé la crainte de rejet exacerbée inhérente à son tempérament affectif.
    Ce sont des séances à visée psychoéducative où il s’agit en grande partie de comprendre la nature affective qu’est le tempérament cyclothymique, dont l’objectif ultime est de changer la perception des évènements qui ont scandé sa vie, en y apportant l’éclairage thymique, autant de l’intensité que de la réactivité que de l’hypersensibilité.

    Repérage de déclenchement de réactions émotionnelles disproportionnées


    Lors des différentes séances suivantes, Maria apprend à identifier l’ensemble des situations source de réactions émotionnelles disproportionnées. Elles sont centrées autour de 3 thématiques :
  • 1- Les situations qui réveillent le sentiment de rejet et qui renvoient à la peur de perdre lʼamour de l’autre.

  • « Je dis bonjour à une collègue ; elle me répond sur un ton sec (…) je suis envahie par une souffrance et une tristesse sans fin (…), je pense que c’est la preuve que les autres me détestent »…
    « Quand je suis avec des amis, j’ai peur de paraître crispée et quʼon devine ma gêne(…), je pense que s’ils savaient à quel point j’étais crispée, ils mettront fin à leur amitié »
  • 2- Une estime de soi très fragile sous-tendue par une hypersensibilité

  • « Je vais prendre un verre avec une copine. J’avais oublié à quel point elle est belle, intelligente, affirmée, marrante. Tout d’un coup, elle me dit que je n’ai pas l’air en forme. Je suis crispée à mort. Je suis contente de la voir, mais jʼangoisse et stresse énormément. Je me dis : quʼest-ce quʼelle est belle, elle est super bien habillée, elle est souriante ; moi, je ressemble à un clodo, mes cheveux sont secs, j’ai l’air horrible, AU SECOURS »

    « Je vais à une soirée organisée par des amis mondains. J’observe les autres. Ils ont l’air plus cool que moi, ils ne sont pas angoissés. Personne ne me parle. Moi je suis folle, obsédée par les choses inutiles »

    « Je suis à un mariage. Installée à une table dʼamis où je nʼarrêtais pas de parler, un gars dit tout d’un coup que jʼétais soûlante. Jʼétais ultra humiliée et triste. Je me suis dit quʼil était méchant, quoique je fasse, ça ne me réussit pas. Moi je suis gentille et pas lui. Je nʼarrive pas à me faire aimer, respecter, cʼest de ma faute, mais en même temps jʼy suis pour rien, cʼest ma personnalité qui est ainsi. Et puis lui, en réalité, cʼest un élitiste, il ne rigole quʼaux blagues des gens à particule »
  • 3- Un sentiment d’injustice poussé à l’extrême

  • « Je prends le temps dʼexpliquer à ma boss un sujet très compliqué dont jʼétais responsable : au lieu de me remercier, elle hausse le ton pour une broutille. Je me dis qu’elle ne me respecte pas, quelle est ingrate, je pourrais même l’accuser de harcèlement à force car c’est vraiment injuste ce qu’elle fait »

    « Je pose deux questions sur un dossier à un collègue : il répond dʼun ton sec et agressif, il va falloir quʼon se répartisse le travail. Là, jʼétais en colère, jʼavais envie de le mordre. De quel droit il me parle comme ca ? Je pense : Il mʼagresse, il ne me respecte pas, c’est pas juste ; il abuse, ça va dégénérer. Je suis coincée, je dois me défendre. Je lui ai crié dessus en lui affirmant quʼil ne me respectait pas et que personne ne me respectait et que je n’y étais pour rien »

  • Sur la dichotomie : apprendre des comportements et des pensées multiples

  • Maria se penche sur ses variations émotionnelles extrêmes alimentant un fonctionnement dichotomique. A cause de ces variations extrêmes, en plus de l’environnement dans lequel elle a évolué, où on « ne connaissait pas le juste milieu », Maria ne connaît pas « l’entre deux » :
    Soit je suis en pleine forme et je me donne à fond dans ce que je fais, soit je ne fais rien du tout »
    Soit je présente des dossiers bouclés à la perfection à ma chef, soit je ne lui remets rien, donc je dépasse toujours les échéances au travail »

    Ces comportements sont ainsi liés à un mode de fonctionnement en noir et en blanc, souvent tributaires de l’état émotionnel et du niveau d’énergie. Comme Maria est soit au top de sa forme et dans ce cas, elle se donne à fond ; soit elle est au fond du trou, et donc ne pouvant absolument pas « bouger le petit pouce ». Au fur et à mesure des variations thymiques, ces comportements extrêmes sont renforcés aboutissant à un fonctionnement permanent du sujet sous ce mode « bi ».


    Au cours de la thérapie, plusieurs types de comportements « intermédiaires » sont envisagés :
    Au lieu d’être en retard sur une échéance, je remets un dossier complet bien fait mais pas nécessairement excellent »
    Comme je me sens fatiguée en ce moment, au lieu de ne rien faire, je vais fonctionner en mono tâche quotidienne »
    Je suis dans une période légèrement hypomaniaque, au lieu, comme à mon habitude, de liquider les dossiers qui traînent depuis mon ancien down partant du travail à des heures indécentes, je m’organise pour en faire plus que d’habitude, fixant une limite de départ du bureau à 19h, soit une heure de plus que d’habitude, sur une période d’une semaine ».

    De plus, cette dichotomie se trouve également dans le contenu des pensées et des croyances :
    Elle est tellement belle ; je suis tellement un laideron »
    Comme il n’est pas très sympa avec moi, c’est mon ennemi juré »
    Dans la vie, il faut soit tout donner, soit ce n’est pas la peine »
    Je suis quelqu’un d’entier, donc je suis direct et je lui balance ces 4 vérités soit je la boucle »
    Ca ne sert à rien de faire les choses à moitié »

    mai 2012