Association CTAH-Recherche

Cas cliniques

Catégories

Diagnostics difficiles

Etude de cas

Traitement / prise en charge

Sous-catégories

Documents

Quand la cyclothymie se cache derrière lʼanxiété

18/04/2011
Auteur : Dr Elie Hantouche

Cas cliniques > Diagnostics difficiles

Deux cas de mauvais diagnostic : fausses phobie sociale et attaque de panique, vraies hypomanie et cyclothymie
Récemment, nous avons eu deux patients venant pour des demandes très éloignées de la réalité.

La première patiente


Elle consulte pour des crises d’angoisse le matin. Elle souhaite une thérapie pour lutter contre ses attaques de panique, sans vraiment imaginer la complexité du phénomène.

Lʼanxiété serait apparue en il y a plus d’un an: "J’ai ouvert la porte et ça m’est tombé dessus, comme une seconde porte invisible, avec l’impression que je n’arriverais pas à mener les choses à terme. Ca ne fait cela que pour aller en cours, et aussi si je dois aller faire des courses et que je ne me dépêche pas. Quand je dois partir, j’ai peur d’oublier quelque chose, devoir revenir et ne plus pouvoir repartir, être piégée. C’est l’anxiété, ou plus exactement l’impression d’être débordée devant l’ampleur de la tache, sans scénario clair, c’est juste émotionnel, comme du vide dans la tête, comme le noir d’une cave. Et comme en plus, je ne fais rien, et que l’école coute cher, je déprime de rater mon année".

Ce blocage "anxieux" (mais qui n’est pas anxieux, car ce n’est pas la peur de la catastrophe, ni la notion de danger, sans scénario clair, mais plutôt un débordement dépressif : impression de ne plus être apte) fait suite à un fond dépressif latent depuis plus de 7 ans ans. Quand on recherche le déclencheur de cet état dépressif, on retrouve des insomnies depuis la même époque : cette patiente décrit une excitation mentale le soir et la nuit (une multitude de pensées l’empêchant de s’endormir, comme une pile électrique dans la tête). Le fait de ne pouvoir dormir correctement (elle ne dépasse pas 1 et 5 heures par nuit) empêche le cerveau de se reposer et se réparer, provoquant ce fond dépressif. Il y a un an et demi une rupture affective va aggraver cet état dépressif qui dégénère dans ce blocage "anxieux" du matin.

L’excitation mentale de cette patiente, le soir et la nuit, n’est pas un élément isolé d’hypomanie. Des phases d’hypomanie sont trouvées depuis l’adolescence avec euphorie, augmentation du débit de parole, sentiment de grandeur, hyperactivité physique, distractibilité, pendant quelques heures, une fois par semaine, en raison d’un projet. "Même mes amis s’en rendaient compte".

Cette patiente décrit une hypersensorialité aux bruits le matin, hypersensorialité tactile (cheveux), une forte sensibilité à la critique et au rejet, de l’impulsivité, un côté colérique répétitif. Des automutilations sont trouvées dans l’adolescence, avec un cutter.

Notre second patient


Il consulte pour Phobie Sociale et souhaiterait une thérapie comportementale et cognitive. Avant de commencer cette TCC, nous faisons un bilan complet pour mieux comprendre son trouble.

Cette Phobie Sociale, généralisée et handicapante serait là de tout temps. Ce patient était déjà un enfant inhibé, avec des soucis d’intégration. Son trouble l’entrave dans les oraux, les entretiens, "toute interaction sociale, en fait", et provoque un grand isolement.

Le patient se décrit comme un enfant triste avec des oscillations d’humeur. Son humeur s’est détériorée quand il a quitté la maison à 19 ans. Les soucis d’intégration ont, à de multiples reprises, provoqué de la dépression et le recours à une prise d’alcool. Suite à la réussite à un entretien d’embauche pour un poste bien placé, il a alors une hypomanie continue pendant 3 mois, est désinhibé, mégalomane, agressif, parle sans limites à ses collègues, et retombe en dépression car ses collègues l’évitent.

Ce cycle de dépression à cause de la phobie sociale et de phases plus stables ou d’hypomanie dure pendant plusieurs années, avec des oscillations d’humeur parallèles.
Dans chaque dépression, on retrouve de l’agitation, des épisodes mixtes, et des éléments hypomaniaques.

Des phases d’hypomanie sont trouvées depuis l’adolescence avec euphorie, diminution du besoin de sommeil, tachypsychie, sentiment de grandeur (voire même de l’arrogance, avec une diminution de ma phobie sociale), hyperactivité physique, augmentation des projets, épisodes mixtes, comportements dangereux (traverser sans regarder), et surviendraient tous les mois, pendant quelques heures, et plus rarement pendant plusieurs mois de façon continue.

Un Trouble Cyclothymique est décrit avec hypersensibilité émotionnelle, hypersensibilité à la critique et au rejet, oscillations permanentes et brusques de l’humeur, sans déclencheur, même en dépression, avec impact sur les sphères motivationnelles, relationnelle et professionnelle. Les oscillations d’humeur surviendraient dans le mois, principalement vers le bas.

La consommation d’alcool est festive "mais sans limite. Je bois peu mais c’est en grosses doses, et sans savoir m’arrêter. Et là, soit je suis marrant, soit je suis agressif, je suis complètement désinhibé, je pousse les gens et finis au commissariat". La consommation sans limite serait due à une perte de conscience des limites en hypomanie.

Ces deux cas nous montrent qu’il est vital de reprendre tout l’historique de la maladie, et explorer les troubles de l’humeur (autant dépressif, hypomaniaque que cyclothymique), avant de donner des antidépresseurs ou commencer une prise en charge TCC (thérapie cognitive comportementale).

Quand rechercher une cyclothymie face à un trouble anxieux ?


Pour rappel, une cyclothymie est suspectée dans un trouble anxieux quand
  • le tableau clinique est instable (diagnostic qui change avec le temps ou avec les médecins consultés)

  • le tableau clinique est complexe (forte comorbidité : règle des 3 troubles anxieux, TOC, Panique, Anxiété Sociale)

  • lʼanxiété est apparemment liée à une personnalité type hystérique ou borderline

  • l’abus de substance (alcool) est associé à l’anxiété

  • l’anxiété s’aggrave avec les antidépresseurs

  • l’anxiété répond vite aux antidépresseurs puis devient résistante
  • mars 2012