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Bipolarité et anti-dépresseurs

30/09/2012
Auteur : Dr Hantouche

Cas cliniques > Etude de cas

Illustration la complexité de la prise dʼanti-dépresseurs par les bipolaires et surtout les risques liés à l’absence du diagnostic correct et à l’exposition aux anti-dépresseurs.

Cas 1 : En deux ans, 6 psychiatres, 6 antidépresseurs, 6 tentatives de suicides et 3 hospitalisations


Mlle B, 26 ans, adressée pour un état dépressif récurrent depuis 2009 avec des tentatives de suicide médicamenteuses et une résistance aux traitements (en ambulatoire et en clinique psychiatrique).
Une première dépression est survenue vers 13 ans, avec quelques TOC d’ordre et de propreté. Elle bénéficie alors d’une prise en charge psychologique qui semble l’améliorer. A 14-15 ans, des crises de boulimie s’installent et le poids passe de 60 à 94 kg (pour une taille de 1,6 m). Le poids actuel est de 60 kg mais avec des vomissements réguliers.
En 2009 Mlle B fait une première tentative de suicide médicamenteuse suite à une rupture sentimentale puis deux autres sans raison. Au cours de 2 ans, elle a été hospitalisée trois fois et traitée par différents psychiatres et différentes molécules sans résultat probant. Traitements prescrits : Seroplex, Zoloft, Prozac, Deroxat, Cymbalta, Valdoxan… toujours avec des anxiolytiques, sédatifs et somnifères. A signaler, 3 tentatives de suicide sous antidépresseurs.
A ce jour, elle a arrêté tout traitement et se sent mieux ainsi, malgré la fatigue, un mauvais sommeil et des tensions douloureuses au niveau du dos. L’évaluation clinique proprement dite nous apporte les informations suivantes : Questionnaire d’hypomanie : 16/20 - Tempérament cyclothymique : 14/20 – Traits de personnalité : borderline : 7/9 / évitante : 7/7 / passive agressive : 6/7 / dépressive : 7/7.
Au terme de ce bilan (diagnostic de trouble cyclothymique – pour rappel, la « règle des 3 » d’Akiskal est bien illustrée dans ce cas, voir même doublée = 6 psychiatres, 6 antidépresseurs, 6 tentatives…), un traitement thymorégulateur a été décidé avec une combinaison de lithium + lamotrigine + topiramate (à des doses faibles). Le bilan un après, bonne amélioration avec adaptation des doses en vue d’une grossesse (lamotrigine 50 + lithium 200), qui a eu lieu juste après – le bilan au 3ème mois de grossesse est assez favorable.
Moralité de ce cas : il n’y a aucune raison qu’une cyclothymie soit méconnue et traitée de cette manière avec une exposition aléatoire et excessive à des traitements inefficaces et capables d’induire des pulsions et des conduites suicidaires

Cas 2 : Juste avant de subir des électrochocs


Mme M, 63 ans, consulte pour dépression chronique résistante – Tout a commencé il y a 9 ans par un surmenage professionnel (avec des crises de spasmophilie durant deux ans, et de graves problèmes dentaires) ayant abouti à une mise en invalidité. Au cours de ces 9 ans, Mme M a consulté environ 25 médecins et spécialistes (dépression, panique, douleurs dentaires, HTA, acouphènes, obsessions sur les mains, phobie de l’eau…). Ces derniers symptômes sont devenues avec le temps les plus handicapants.
« J’avais l’impression de ne plus sentir mes mains, comme si des sensations avaient disparu, ou étaient différentes. Je les regarde sans cesse, dans tous les sens, comme si les regarder pouvait changer quelque chose à la catastrophe. Je les analyse sans cesse et récite une phrase spécifique pour chaque doigt (comme une phrase d’annulation de la catastrophe) pour s’assurer que chaque doigt fonctionne correctement. Avec ces obsessions, j’ai commencé à avoir une phobie de l’eau par peur de détruire encore plus mes doigts, ce qui fait que je n’osais plus les laver depuis deux mois. J’ai de l’angoisse panique à la simple vue de l’eau. »
Des examens neurologiques ont été faits, ainsi qu’une ponction lombaire, mais tout semble normal. Il semblerait que le Deroxat ait permis de calmer les obsessions. Avant le Deroxat, Mme M se sentait dans « un vide, dans un trou, comme morte » avec des crises de larmes et de violences retournées contre elle : un Episode Mixte d’intensité sévère se déclare en janvier et février 2009 en raison de l’aggravation de ses obsessions, avec une grande tristesse, de l’anhédonie, un mauvais appétit, des insomnies, une grande agitation, des difficultés de concentration, des idées noires et des états mixtes. Cet état était accompagné de crises d’angoisse et de violence physique retournée sur soi. La fille de la patiente se dit avoir été choquée de voir sa mère se frotter jusqu’au sang « comme si elle était devenue hystérique », ce qui a entraîné une hospitalisation en psychiatrie avec un bilan pré-ECT (électrochocs).
Le traitement actuel comporte entre autre de Paroxétine 40 mg qui depuis plus d’un an ne semble pas procurer d’effet quelconque – avec besoin de fortes doses de Rivotril, Théralène
Le bilan clinique révèle par ailleurs un tempérament de base plutôt de nature hyperthymique avec stabilité, déterminisme, hyper empathie ; « je me suis défoncée dans l’altruisme, je me suis sacrifiée, j’ai toujours eu une énergie débordante, mes collègues m’admiraient pour cela ».
Le diagnostic retenu était plutôt en faveur d’une dépression chronicisée par les AD et les sédatifs chez une personne de nature hyperthymique. Le nouveau traitement a consisté d’introduire une dose de lithium (400 mg) et changer la paroxétine par la duloxétine (cymbalta à petite dose, en raison des symptômes somatiques dominants). La réponse n’a pas tardé à venir : rémission complète en 2 semaines (bilan Août 2009). La dernière visite, Septembre 2012 (soit 3 ans après) confirme la guérison complète des symptômes dépressifs et anxieux avec le maintien du lithium seul à 125 mg/jour (arrêt de l’AD en juin 2011), avec une normalisation de l’HTA et des acouphènes, et cela malgré la découverte d’un cancer au sein (fin 2010) et les traitements (chirurgie, radiothérapie et hormonothérapie).

Cas 3 : 20 ans de Prozac seul et après ?


Mme A, 52 ans, consulte pour le motif « être plus stable et moins dans le contrôle ».
Dans son histoire, survenue vers l’âge de 17 ans d’une anorexie mentale (carences, aménorrhées, séjour en clinique durant une semaine). Depuis cette période elle présente une phobie sociale (avec éreutophobie) entrainant un isolement, évitement de toutes les situations sociales ainsi qu’un retard important dans son cursus (ne va plus en cours, redoublements). En 1990, elle présente une dépression post-natale durant plusieurs mois.
Début du traitement en 1991 avec fluoxétine (Prozac®) qui rend les symptômes moins intenses. Plusieurs tentatives d’arrêt du traitement, mais à chaque fois on note une rechute, voir une aggravation des symptômes dépressifs et d’anxiété sociale.
L’évaluation montre une humeur relativement instable avec une alternance entre des périodes à symptomatologie dépressive (dominante), avec dépression saisonnière en novembre et au printemps, et des périodes de courtes durées à symptomatologie hypomaniaque (de quelques heures à deux jours). Durant ces périodes, l’entourage lui ferait des remarques comme quoi elle est trop bien. On note des réactions disproportionnées face aux évènements, une hypersensibilité émotionnelle source de souffrance, une tendance à s’énerver mais contrôle (surtout dans la sphère privée), hypersensibilité aux bruits.
Par ailleurs, on retrouve une tendance aux achats compulsifs mais sans conséquences financières et des éléments en faveur d’un besoin de contrôle avec un TOC de propreté d’intensité modérée (environ une heure par jour). Son entourage lui reproche souvent d’en faire trop.
Actuellement la patiente présente des éléments d’anxiété généralisée. Toutes les situations de la vie quotidienne sont source d’anxiété, tendance à toujours voir le scénario catastrophe pour elle et ses proches, préoccupation et inquiétudes excessives.
On trouve aussi des attaques de panique ponctuelles (sueurs, tachycardie, mains moites, estomac noué) aussi dans les situations sociales (transport, au travail) que chez elle (notamment au coucher). Le sommeil semble également perturbé (réveils nocturnes).
Enfin, l’histoire familiale est chargée de troubles avec suicide du GPP par pendaison, plusieurs tentatives de suicide de la GMM, mère anxieuse et dépressive et père autoritaire, irritable, « très maniaque » sur la propreté et le ménage, avec addictions au jeu et à l’alcool.
Traitements passés :
En conclusion, le bilan diagnostique en faveur d’une cyclothymie à dominante anxieuse et dépressive avec un traitement chronique (20 ans de fluoxétine) – notion de rechute après chaque tentative d’arrêt.
Le bilan après un an de suivi (ajout lithium 400 + Lamotrigine 100) est positif – amélioration clinique avec succès de réduire la fluoxétine à 3 gélules/semaine. Après ce délai, le projet est de passer à la phase d’arrêt de fluoxétine (de manière progressive).
Plusieurs cas de cyclothymie ont été mis sous AD depuis de nombreuses années et se retrouvent dans l’incapacité d’arrêter l’AD (risque de rechute et de sevrage).

octobre 2012