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Effet bizarre du dépakote

22/11/2012
Auteur : Dr Hantouche

Cas cliniques > Etude de cas

Une crise étrange fait suite à la prise de Depakote : pourquoi ? Comment ? Quel historique ? Comment limiter les risques dʼen arriver là ?
Voici un problème clinique observé avec la prise de Dépakote

Le site bipolaire-info vient de me soumettre ce qui est arrivé à une internaute.

Témoignage dʼun patient sous Depakote


La réaction au traitement


"Après 4 jours de traitement en 2006 je prenais 2 Dépakote par jour et jʼétais devenue sans réaction et dormant tous le temps enfin bref un vendredi soir je demande à mon frère de mʼamener du coca jʼétais drôlement brassée.
Jʼai des vagues souvenirs et cʼest mon fils de 12 ans qui mʼa relaté tout ce que jʼai fait.
Ça a commencé par un appétit féroce, un mal de tète horrible ; jʼétais assise devant le placard à bouffe et quand jʼavais mangé tout ce qui nʼavait pas besoin dʼêtre cuit je me suis attaqué au pâtes crues, allez comprendre. Jʼai vidé le sachet de pâtes par terre et y ai déposé du fromage râpé et ai mangé ces pâtes comme un chien mange son pâté.
Après lʼhistoire de bouffe passée qui avait commencé à 19 h 30 du soir là je longeais tout les murs de mon appartement je criais, je réclamais une de mes sœurs et je me suis avalée je ne sais combien dʼantidouleur pour la tète et dʼanxiolytiques. Je tapais dans tous les murs de la maison à coup de pied, de genoux et ceci jusqu’à 2 h 30 du matin Et je peux assurer quʼil nʼy avait pas dʼalcool chez moi car depuis 2006, même si je rechutais, cʼétait une règle pas dʼalcool à la maison.

Je me rappelle dʼune longue période de pétage de plomb devant mon enfant sans défense ne sachant plus quoi faire ? Quoiqu’il en soit je me suis réveillée le samedi soir à 19 h et quand jʼai demandé à mon fils ce qui cʼétait passé je suis tombée le cul par terre. On aurait dit quʼune tornade était passée la cuisine en dessus dessous.
Je ne pouvais pas croire avoir fait çà ; je sais que jʼai eu un gros problème en 1996 concernant des neuroleptiques mais je me suis fait peur. Jʼavais des bleus de partout des coups que jʼai pu donné dans les murs.

Mon généraliste était atterré « je nʼai jamais vu quelquʼun réagir aux cachets comme çà ». Il est comportementaliste et à ce titre participe à des colloques et est en relation avec les pointures de la clinique des vallées et avec mon accord il leur en a parlé mais personne nʼa cru que je nʼavais pas bu.

Alors comprends tu la trouille que jʼai pour le Xeroquel ; ca été une cata aussi.


Pour expliquer ce phénomène, j’ai demandé des compléments d’informations.

En premier, c’était quoi le diagnostic ?


En 2006, un comportementaliste mʼa diagnostiquée « bipolaire 1,2 » ou mixte pour lui je crois que cela nʼétait pas important. Aujourdʼhui on me dit « mixte ».

Voilà une première source d’errance : porter un diagnostic de « Mixte » ne veut rien dire – Le terme « mixte » est utilisé pour qualifier un épisode et non un trouble bipolaire. Cela dit, une « Dépression Mixte » est plus évocatrice de bipolarité – mais rien de spécifique car on peut l’observer dans toutes les formes cliniques de bipolarité (I, II, III, IV, cyclothymie…). Sans oublier qu’il existe des épisodes d’(hypo)manie mixte. Là vous constatez comme il est difficile d’expliquer le cas sans avoir le « bon » diagnostic de l’épisode traité et surtout du trouble bipolaire dans sa globalité.
Le diagnostic indiqué « 1,2 » ne signifie rien – il y a l’entité « BP ½ » (schizo-affectif) et l’entité « BP 1 ½ » (hypomanie chronique)

Début du trouble


Ma 2ème question concernait l’âge de début ?

Aussi loin que je puisse me rappeler et de mon expérience sur la maladie :
  • de 0 à 7 ans : enfant très active – même trop active (mêmes symptômes que lʼhyperactivité, mon fils lʼa été diagnostiqué à 7 ans)
  • de 7 à 11 ans renfermée sur moi-même comme une huitre beaucoup dʼidées noires alternant des périodes très exaltantes.
  • de 11 à 13, jʼavais envie de mourir et jʼétais dʼun tempérament irascible irritable sans possibilité de vie sociale.
  • à lʼâge de 22 ans suite à une rupture jʼai pété les plombs ; jʼétais obsédée par cet homme je voulais le tuer ; je le criais haut et fort et je mʼadonnais beaucoup à la boisson pour cela. Difficile même avec le recul de dire à quel âge cela à commencer mais très jeune!!!!!!!!

  • Un âge de début précoce est en faveur de la bipolarité et parfois d’un sous-type distinct de bipolarité – notamment avec un tempérament basique complexe où se mélangent des traits d’hyperactivité – de dysthymie puis d’irritabilité – ce qui évoque soit un tempérament cyclothymique ou tempérament mixte – ce qui, dans les deux cas, est déjà annonciateur de la complexité et mixité des épisodes majeurs à venir.

    Historique des traitements


    Ma 3ème question était au sujet des traitements pris dès le début des soins


  • de 11 2006 à 02 2007 : tégrétol, prozac, alprazolam
  • de 03 2007 à 05 2007 : ritaline , seresta (6/jours)
  • (Pourquoi ritaline ; mon comportementaliste ne comprenant plus mon comportement dans son cabinet (agitation verbale, gestuelle, débit de la parole il nʼarrivait plus à en placer une) Vu que mon fils a été soigné par ritaline et que sur lui une batterie complète pour le diagnostic avait été faite et quʼil avait vu quelquʼun dans mon état sur qui la ritaline avait marché il a convaincu sans diagnostic mon psy de me le prescrire en hospi et je nʼai pas tilté tout de suite concernant les examens qui nʼont pas été faits)
  • en 05 2008 : lexomil, praxinor (migraineuse récurrente), renutryl, nozinan
  • de 06 2008 a 08 2008 : concerta LP, athymil, rivotril, tardyferon, spéciafoldine
  • LE TOUT ACCOMPAGNE DʼUNE CONSOMMATION DʼALCOOL A PLUS DʼUNE BOUTEILLE PAR JOUR DE WHISKY
    Sevrage alcoolique et arrêt de ma propre initiative et conseil dʼun neurologue, du concerta ou ritaline
  • de 09 2008 à 09 2010 : 6 zoloft par jour + mise sous théralithe prise de 40 kg
  • de 10 2010 à à 07 2011 : lamictal, effexor, abilify, seresta, stinox
  • en 03 2012 : ajout du xeroquel pour dépression récurrente et suppression du lamictal
  • en 04 2012 : laroxyl rajouté pour migraine
  • en 11 2012 : depamide, théralène, seresta


  • Ce qui me vient à l’esprit est de dire « si on peut faire complexe pourquoi faire simple ! » Je ne sais pas si quelqu’un serait capable de comprendre la logique ou prédire les effets de ces mélanges – assortis avec l’alcool. Pour rappel, l’abus d’alcool est souvent lié aux épisodes mixtes (maniaques et/ou dépressifs). Si le diagnostic retenu est « mixte » (admettons) – pour quelles raisons on a gardé les antidépresseurs ? par exemple, 2 ans avec des doses « énormes » de zoloft (300 mg/jour !!!)

    Pourquoi avoir laissé cette patiente prendre 40 kgs sans rien faire ?

    Pourquoi le lithium, qui est réputé inefficace dans le traitement des mixtes ?

    Le diagnostic de TDAH peut être évoqué en raison de l’hyperactivité dans l’enfance – mais ce symptôme n’est pas suffisant pour porter le diagnostic. De toute façon, la prise de ritaline ou concerta est intéressante car elle peut servir d’épreuve thérapeutique. Là on n’a pas de renseignements sur les effets de ce psychostimulant – Est-ce qu’il a calmé l’état d’hyperactivité ? Est-ce que sa prise est-elle responsable de la survenue des migraines (effet secondaire classique) ? Pourquoi concerta a été remise en 2008 ?
    Bref, cette histoire médicamenteuse n’est pas aidante pour comprendre la phénoménologie du trouble en question

    Pourquoi le traitement actuel ?


    Ma 4ème question évoquait les circonstances de mise sous dépakote (quel état ? manie ? y a-t-il eu un arrêt dʼun traitement à ce moment ? parfois ça peut être le sevrage dʼun AD comme deroxat ou autre ?)

    Jʼai été mise sous dépakote pour hypomanie. Jʼétais à lʼépoque (quelle époque ? avant 2006 ?) sous fluoxétine et alprazolam aucun médicament nʼa été enlevé à ce moment là. Jʼai pris le dépakote à peine 2 semaines car dés les premières prises jʼétais très fatiguée, mal de tète avec des nausées.

    Face à une hypomanie qui survient avec un anti-dépresseur comme la fluoxétine, le dépakote est un bon choix – L’idéal est de réduire la dose dʼanti-dépresseur voire l’arrêter – ce qui est faisable avec la fluoxétine, car sa demi-vie d’élimination est longue (4 à 5 semaines), donc pas de phénomènes de rebond ni de sevrage.

    Quelles suites à la première crise ?


    Ma 5ème question au sujet des suites de cet épisode et sur la survenue d’autres événements indésirables avec dʼautres médicaments.

    La suite de cet épisode fut une hospitalisation où le tégrétol fut mis en place. Mon comportementaliste mʼavait demandé sʼil pouvait parler de mon cas à toute lʼéquipe de psychiatres de la clinique où jʼai fini par être hospitalisée ; pour eux diagnostic "a rajouté de lʼalcool".

    Jʼai eu en 1996 suite à la prise de prozac des forts maux de tète et nausées ; le médecin mʼa prescrit du PROKYNIL, excusez moi saloperies de neuroleptiques. Je mʼen rappellerai toujours au bout de 2 jours de traitement obliger dʼappeler SOS médecins car je commençais à avoir tout le coté gauche paralysé lourd et lʼautre hyperactif. Enfin piqure de je ne sais pas quoi pour lui je ne supportais pas ce cachet au bout dʼune heure calme ayant repris mes esprits car mon esprit non plus ne réagissait plus pareil. ah : oui on mʼa prescrit de lʼArtane. Mais le réveil du lendemain fut lʼenfer je déambulais dʼun endroit à lʼautre dans lʼappartement ne me maitrisant plus ne contrôlant plus rien je me rappelle avoir appelé mes parents et aucun souvenir de la journée. Après selon leur dire je tournai ma tête bavait nʼétait plus la jʼavais une dyskinésie faciale et dans mon bras perdait lʼéquilibre; dés quʼun aliment pénétrait mon corps je le rejetais et partais me coucher ne pouvant parler restant prostrée. Mon bras gauche ne faisait que de tressauter et quand jʼen avais marre jʼessayai de lʼarrêter mais cʼest le droit qui prenait le relais. Pour les médecins cʼest lʼangoisse qui a déclenché cela car tous ces symptômes ont duré 3 mois après une prise de neuroleptique.
    Bon entre celui la et la depakote çà a été lʼapogée.

    Le reste, ce sont des injections de sulfate de magnésium pour lʼalcool qui ont provoqué chez moi de lʼhypomanie.

    Avec le Xeroquel, jʼétais devenue un zombie dépersonnalisation déréalisation dédoublement de personnalité et jʼen passe je lʼai arrêté par palier malgré le désaccord de ma psy de lʼépoque.


    Alors qu’est-ce que je peux retenir de tout cela ?
    En premier, comme la majorité des bipolaires « soft », le cerveau est assez sensible aux effets indésirables des psychotropes (virage sous AD, dyskinésie avec les neuroleptiques même si c’est Primperan, confusion mentale avec Artane, un anticholinergique donné comme correcteur des effets neurologiques des neuroleptiques… Même chose avec Xeroquel, qui est un puissant anticholinergique et antihistaminique (donc pas étonnant le fait d’être zombifié avec ce psychotrope)

    Examen neurologique et plus ?


    Enfin, ma dernière question était au sujet d’un examen neurologique et éventuellement d’un bilan d’imagerie cérébrale (IRM, scanner), bilan sanguin…

    Jʼai eu plusieurs fois des phases qui ressemblaient à des troubles neurologiques ; on a pensé une fois car tous les symptômes semblaient correspondre à la sclérose en plaques et non.

    Synthèse de ce cas


    Face à des cas complexes, le travail du clinicien est de faire l’assemblage de tous les éléments du puzzle et d’être capable de retenir le maximum d’infos utiles pour comprendre le diagnostic du trouble et apporter le meilleur choix thérapeutique.



    Alors voici les points importants à retenir :
  • Besoin de porter un diagnostic complet ; dire juste « mixte » ne suffit pas – est-ce un mixte d’emblée ou secondaire aux AD ? avec une exploration du tempérament basique (mixte ou cyclothymique) ; quand je dis « tempérament mixte », j’évoque les cas avec des traits simultanés d’hyperthymie et de dysthymie (c’est différent de la cyclothymie où le trait dominant est l’instabilité continue)
  • Assurer l’arrêt de l’alcool dès le début du traitement
  • Réduire au maximum l’exposition aux AD – surtout si le diagnostic de « mixte » est retenu
  • Respecter la sensibilité extrême de cette personne aux psychotropes ; en évitant les neuroleptiques, les anticholinergiques, les AD…
  • Prescrire les psychotropes comme Valproate (Dépakote, Dépakine, Dépamide… tous même famille) à des doses modérées – car le cas cité illustre un état de confusion induit par le Dépakote (mais l’AD a été maintenu alors que la patiente était en hypomanie) ; il y a des cas de réactions paradoxales dites « maniformes » (qui ressemblent à la manie) avec le valproate ; mais ce sont des réactions assez rares (j’en avais observé dans mon expérience auprès des centaines de cas, seulement 2 à 3 cas, notamment chez des jeunes patients cyclothymiques qui présentent un TDAH comorbide). Donc avec les infos livrées, je retiens l’hypothèse d’un état d’hypomanie mixte avec confusion, exacerbé avec le maintien de l’AD et éventuellement accentué par une forte dose de Dépakote (frénésies alimentaires, confusion mentale…). Curieux de constater que la patiente est actuellement sous Dépamide, cousin germain du Dépakote, et que les effets « bizarres » du dépakote ne se sont pas reproduits. Est-ce que les doses actuelles sont-elles moins fortes ? Parfois, on a l’habitude de dire que le dépamide est « plus gentil » comme psychotrope, plus « soft » que dépakine ou dépakote. En effet, la gamme du valproate est le meilleur choix pour soigner les épisodes mixtes. Des études actuelles explorent l’efficacité des NL atypiques comme la ziprazidone dans les dépressions mixtes. Récemment, le Zyprexa (Olanzapine) a obtenu son approbation dans le traitement de la dépression bipolaire (au Japon) ; Le Xeroquel (Quetiapine) a l’indication en France – Cela dit, une dépression bipolaire n’est pas obligatoirement une « Dépression Mixte ». Mais dans ce cas précis, les NL doivent être proscrits car hypersensible aux psychotropes agissant sur la dopamine (la preuve cette réaction de dyskinésie aiguë avec Primperan !).
  • Note sur l’effet prolongé de 3 mois après prise de metoclopramide – il y a des cas semblables où une prise unique de neuroleptique est capable d’induire des effets dyskinétiques prolongés ; on disait sur ces neuroleptiques « Hit and Run » (ils frappent et s’enfuient – même éliminés du corps, leurs effets sur le système extrapyramidal peut être prolongé)

  • Moralité : faire simple quand les choses paraissent (ou deviennent) complexes et non l’inverse ; ce cas est semblable à des dizaines de cas vus au CTAH chez qui je suis convaincu que les traitements ont rendu le trouble de l’humeur plus complexe et difficile et que sans diagnostic robuste et complet, tous les risques et complications sont possibles.





    août 2012

    decembre 2012


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