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Dépression récurrente tardive et résistante

22/06/2011
Auteur : Dr Hantouche

Cas cliniques > Traitement / prise en charge

Mr C., 64 ans, vient nous consulter pour avis thérapeutique. Sa demande d’origine ? je veux être moins dépressif ?.

Histoire de la maladie

Mr C. consulte pour la première fois un psychiatre il y a 9 ans pour un 1er épisode dépressif majeur, environ plus d’un an après son départ â la retraite. Depuis, le patient présente un trouble dépressif récurrent (un EDM chaque année durant 2-3 mois) ayant nécessité plusieurs hospitalisations en clinique psychiatrique (environ 10, en général pour une durée de 3 semaines).
Le patient relate avoir reçu plein d’antidépresseurs dont Prozac, Effexor, Zoloft, Séropram, Anafranil, Séroplex?
La dernière hospitalisation est relevée il y a environ 3 ans, date â partir de laquelle le patient prend de la Dépakote et a été diagnostiqué bipolaire. Un diagnostic assez curieux, car on ne retrouve pas de virage hypomaniaque sous AD.
Actuellement le patient présente un EDM depuis 5 mois (directement après une période d’hyperactivité) et caractérisé par : une humeur triste, anhédonie, perte d’appétit, insomnie et clinophilie, agitation et tension interne, fatigue, difficultés â se concentrer, majoration de la libido (qui le perturbe car ne peut avoir de rapports sexuels). Notons également que le patient s’est remis â fumer.
L’humeur actuelle est anxio-dépressive de forte intensité (score HAD-Anxiété : 15/21, HAD-Dépression : 16/21).

Son traitement actuel : Dépakote 1000mg depuis 3 ans + Séroplex 10mg ; Alprazolam 1cp/j
(curieux que le niveau dʼanxiété soit assez élevé malgré la dose de Dépakote)

Dans les antécédents personnels, on ne trouve pas de trouble particulier, â part une suspicion de déficit de l’attention dans l’enfance.
Le tempérament est en faveur d’une cyclothymie â dominante hyperthymique et anxieuse.
On relève une hypersensibilité émotionnelle et une intensité affective.

Dans les antécédents familiaux, la mère est décrite comme étant anxieuse et très sensible. Elle actuellement atteinte de la maladie d’Alzheimer.

Commentaire :

Quel diagnostic évoque ce cas clinique ?

En premier, tenons compte de l’âge de début tardif â 55 ans. D’emblée ça doit orienter vers la piste de l’Hyperthymie : aucun trouble avant et suspicion de déficit de l’attention avec hyperactivité dans l’enfance.
En effet, le bilan psychométrique révèle en second temps un score élevé sur le tempérament hyperthymique (score 14/21) avec Intensité Affective (70/90 sur l’échelle RIPOST).
Intéressant de noter que le score sur le tempérament cyclothymique est également élevé (14/21). Mais lors du second entretien, Mr C. affirme que cette instabilité cyclique est apparue chronologiquement de manière secondaire depuis les dépressions et la prise des antidépresseurs.

En second, on est étonné par une évidence : la résistance aux AD (plus de 10 admissions psychiatriques pour être exposé aux des traitements qui ne marchent pas !!!)

En troisième lieu, vient la Question ? sur quels critères les médecins ont-ils porté le diagnostic de bipolarité ? ? Mr C. nous répond ? probablement, entre les épisodes dépressifs, j’étais hyperactif ; mais en fait, c’est moi ? je redevenais ce que je suis ?
Bien que le score sur la HCL-32 soit de 17/32, le score sur le test de bipolarité est juste 14 (score seuil de 25 ou plus). Donc, on retient la distinction entre ˮhypomanieˮ un épisode délimité dans le temps et ˮhyperthymieˮ qui partage des éléments en commun mais stable et visible avant lʼâge de 18 ans.

Enfin, on peut se poser la question évidente : pour quelles raisons prescrire Dépakote 1000 mg (ce qui est la dose habituelle pour la prévention des Manies chez les BP-I) ? donc, 3 ans de Dépakote â une dose conséquente et le résultat : allongement de la durée des dépressions dont la dernière qui dure depuis plus de 5 mois et pour laquelle la dose de Seroplex a été augmentée !
On peut facilement suspecter un effet dépressogène dʼun traitement anti-maniaque fortement dosé, notamment chez un hyperthymique

Conclusion

Le diagnostic de Trouble Bipolaire type IV est le plus plausible (traits tempérament de base, indices de TDAH, âge tardif des dépressions, résistance aux AD, induction d’instabilité mais jamais de virages hypomaniaques).
Il est possible que le tempérament hyperthymique, le plus stable et intense, prédispose â une faible probabilité de virer sous traitement AD (contrairement aux tempéraments cyclothymique et dépressif). Le risque chez les hyperthymiques est plutôt une induction de dépressions mixtes chroniques ou d’une instabilité cyclothymique secondaire.

Bilan thyroïdien demandé
Faire un EEG de sommeil pour éliminer un syndrome d’apnées de sommeil
Recherche plus détaillée du Déficit de lʼAttention (â la prochaine séance)

Ce diagnostic signifie en termes thérapeutiques,
- Choix de lithium 400 mg pas plus (le plus adapté chez les hyperthymiques avec intensité affective)
- Concerta LP18 (dopaminergique pur qui curieusement est mieux toléré que les sérotoninergiques ; d’ailleurs â quoi ça sert de garder un AD alors qu’on a la preuve flagrante de résistance de 10 épisodes dépressifs â ces traitements)
- Réduction progressive du Divalproate ainsi que l’AD (Seroplex)

decembre 2012