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Bipolarité sans hypomanie

21/09/2011
Auteur : Dr Hantouche

Cas cliniques > Traitement / prise en charge

Ce cas illustre une bipolarité cyclothymique sans l’évidence de véritables épisodes de manie ou d’hypomanie typiques – son témoignage est plus édifiant que le bilan clinique.


« Les psychiatres n’ont jamais cru un seul instant que je pouvais être bipolaire et pourtant…
J’ai 31 ans ;
Tout a commencé il y a 5 ans.


A ce moment là, je vivais en couple depuis 9 mois, tout se passait bien, je me sentais globalement heureuse et satisfaite. J’avais des projets. Mais j’ai rencontré X et alors les choses ont progressivement changé. Il était tout ce dont j’avais toujours rêvé. Beau, intelligent, brillant, charismatique, sûr de lui. Je suis tombée peu à peu très amoureuse de lui. Il était en couple depuis 8 ans mais rapidement au fur et à mesure de notre rapprochement, il m’a dit qu’il m’aimait et qu’il allait tout quitter pour être avec moi. J’ai fait de même de mon côté.

Mais une fois cela fait, les choses ont commencé à mal se passer. On passait notre temps à se tester, à se faire des scènes, à affirmer que si ça continuait on se séparerait. Il me disait que c’était difficile pour lui de tourner la page après son ex. Au début, j’ai réussi à gérer puis peu à peu, je me suis sentie débordée. Quand il me disait qu’il ne m’aimerait jamais autant que je l’aimais, je ne dormais pas, je pleurais. Quand il me laissait en plan sans prévenir pour sortir de son côté, je finissais par avaler du lexomil pour pouvoir dormir. Progressivement, je me suis mise à arrêter mes activités habituelles, à avoir du mal à faire les choses du quotidien comme les courses, je restais enfermée dans ma chambre à écouter de la musique, fumer plus que je ne l’avais jamais fait. Je ne parvenais plus à manger le soir. Et quand j’étais trop stressée, j’avalais des médicaments. J’ai beaucoup appelé mes amis pour m’épancher et me plaindre. Mais après un moment, mes amis m’ont fait comprendre qu’ils en avaient assez d’écouter les mêmes choses, les mêmes récits encore et encore et donner des conseils que je n’écoutais pas. J’ai commencé à me tourner vers des garçons qui me draguaient et j’ai essayé de trouver du réconfort, de la tendresse auprès d’eux. Comme je me sentais redevable, je faisais l’amour avec eux. Alors même que ces relations ne menaient souvent à rien. Parfois, on utilisait des préservatifs, parfois non.

Quand j’ai commencé à me sentir en « pré-dépression », j’ai décidé d’aller consulter. Mon médecin généraliste m’a renvoyé sur des psychiatres en m’indiquant le nom de l’un d’eux qui devait avoir de la place. Après 3 mois de consultation, j’ai demandé à être mise sous antidépresseurs. La situation avec X ne s’arrangeait pas. Je faisais régulièrement des crises de colères, de pleurs, nous avions des disputes violentes, épuisantes dont nous mettions plusieurs jours à récupérer.

Au début je me suis sentie un peu mieux sous antidépresseurs, comme anesthésiée mais assez vite, je n’ai plus senti les effets. Je recommençais à avoir des épisodes dépressifs avec des crises d’angoisse, de larmes. Puis je suis tombée enceinte de X par accident. Nous venions de décider d’interrompre notre relation et quelques jours avant le délai légal pour avorter chimiquement, j’ai dû prendre une terrible décision. Je n’ai pas su vers qui me tourner. Le psychiatre ne m’a pas aidé, mon généraliste non plus. Je me suis tournée vers le planning familial qui m’a conseillé au mieux et j’ai fini par avorter. X n’était pas toujours là, j’étais dépassée. Après l’avortement les choses étaient encore plus douloureuses, entre les pertes de sang et le reste, j’étais déprimée. J’avais commencé quelques semaines avant à me faire des scarifications quand j’avais des crises de douleur si intenses que le seul moyen que j’avais trouvé pour arrêter la douleur morale avait été de la remplacer par de la douleur physique. Puis j’ai rencontré un garçon et j’ai cru que les choses allaient aller mieux. Mais ce garçon avait des problèmes et quand il m’a quitté j’ai sombré de nouveau. Crise d’angoisse, de larmes, impossibilité de me lever le matin, de manger, de sortir, je ne faisais plus rien. C’est X qui m’a ramassé à la petite cuillère.

Une amie m’a ensuite conseillé d’aller voir son psychothérapeute. J’ai donc convaincu mon psychiatre d’arrêter les antidépresseurs puis j’ai arrêté d’aller le voir pour ce nouveau thérapeute. Ce psychothérapeute m’a diagnostiqué une dépression sévère et me voyait parfois deux fois par semaine. J’ai eu l’impression d’avancer malgré certaines séances qui me faisaient du mal. Je me sentais aller mieux puis j’ai eu une crise vertigineuse vers le bas. Un soir, je me suis sentie abandonnée de tous, j’ai ouvert une bouteille de vin, j’ai bu, j’ai pris des médicaments, j’avais juste envie que la douleur s’arrête enfin. Je me suis réveillée, j’ai repris des médicaments, je me suis scarifiée. J’étais groggie, je me cognais dans les meubles. J’ai appelé une amie qui m’a pris en charge et surveillé tout le week-end. J’ai appelé mon psy qui m’a fixé un RDV le lendemain au jardin du Luxembourg hors du cadre thérapeutique. Après ça la thérapie a été à veau l’eau.

Le collègue psychiatre de mon thérapeute m’a arrêté pour dépression 10 jours et pendant cet arrêt, j’ai fait part à mon thérapeute de mes craintes, de mon sentiment de ne pas avancer. Il m’a alors menacé et m’a dit qu’à cause de ma tentative de suicide il aurait dû me faire interner et que si je n’adhérais pas à ses méthodes cʼest-à-dire aux thérapies cognitives comportementales, ce n’était plus la peine de venir. Il m’a laissé une semaine pour réfléchir et la semaine suivante il a mis fin à la thérapie et m’a laissé partir. Au début, je me suis sentie mieux de ne plus aller raconter mes problèmes à quelqu’un mais ensuite je vivais dans la crainte de ce spectre dépressif qui rôdait et se manifestait très fortement par moment. Certains soirs j’avais besoin de rentrer chez moi, de m’enfermer et boire pour ruminer mon malheur comme un RDV inévitable avec ma dépression.

D’autres fois, j’arrivais à vivre une vie normale plusieurs jours, voire deux semaines d’affilée mais c’était rare d’être bien aussi longtemps. Par moment, j’ai ressenti le besoin d’aller voir quelqu’un mais je n’avais plus confiance dans les psys, je ne savais plus qui aller voir.
Un an après la fin de cet épisode thérapeutique alors que j’allais emménager avec X, j’ai fait une crise chez ses parents. J’étais stressée au travail et avec X avec qui je m’engueulais régulièrement. X a pris peur et après m’avoir menacé, il a décidé de m’emmener aux urgences psychiatriques. Le médecin m’a prescrit des antidépresseurs et un arrêt de travail puis l’infirmière m’a orienté sur le centre d’aide médico-psychologique de ma ville qui m’a fixé un RDV 10 jours plus tard. J’avais le bras gauche entaillé profondément au niveau des veines.

X a cherché sur internet les coordonnées d’un psychanalyste qui pourrait me prendre en charge dans l’intervalle et il est tombé sur le site de Madame M. qui lui paraissait bien. J’ai donc pris RDV avec Madame M. qui m’a reçu dans les 48H qui suivaient. Au bout de la première séance et après lui avoir exposé mon parcours, Madame M. s’est interrogée sur une possible bipolarité et s’est montrée sceptique quant à une dépression classique. Son franc parler et la pertinence de ses analyses m’ont fait bonne impression et j’ai décidé de la suivre sur cette piste.

Ainsi un long parcours du combattant vers le diagnostic va commencer. Madame M. s’est renseignée sur les hôpitaux dans le secteur où il serait possible de confirmer ou infirmer cette piste. Elle m’a orienté vers un service spécialisé qui demandait la recommandation d’un psychiatre mais la plupart des psychiatres qu’elle a contactés ne croyait pas à la bipolarité. J’ai contacté une psychiatre dont les coordonnées m’avaient été données par le centre d’aide médico-psychologique. L’infirmière m’avait conseillé de me tourner vers le secteur privé car par manque de moyens, le secteur public n’aide que les cas extrêmes et les personnes sans ressources. La psychiatre que j’ai vue n’a pas cru un seul instant que je pouvais être bipolaire, elle m’a remis un fascicule caricatural sur la bipolarité et a refusé de me faire une lettre de recommandation pour l’hôpital de mon secteur.

Madame M. a alors décidé de me mettre en contact avec le CTAH dont elle connaissait les travaux et l’expertise dans le domaine de la bipolarité. J’ai pris RDV avec le CTAH et une psychologue qui m’a entretenue longuement de mon parcours et a orienté l’entretien sur mes cycles d’humeur, quelles étaient les manifestations et la durée quand je sombrais et quand j’allais bien. Elle a dressé un bilan qu’elle a remis au Dr H. qui m’a reçue par la suite. Il a tout de suite cerné de manière pertinente mes problèmes. Il a confirmé le diagnostic : cyclothymie et m’a prescrit des analyses biologiques et un traitement au lithium à petites doses (200 puis 400 mg).
Cela fait 3 semaines et je me sens de nouveau apaisée et sereine. Je savoure chaque instant de vie après 5 ans de souffrance. Je suis soulagée et je me sens à nouveau maîtresse de ma vie et de mon avenir en lequel j’ai à nouveau confiance. Grâce à la pugnacité de Madame M., j’ai gagné 3 ans sur la moyenne du diagnostic et je me sens soutenue et prise en mains. Je ne suis plus seule face à ma souffrance et j’aborde le traitement avec confiance.

Commentaire Dr H.

Cas typique de Cyclothymie se manifestant par une dépression qui s’avère très vite résistante aux antidépresseurs, pire qui s’aggrave avec ces psychotropes.
Il aurait suffit de regarder de plus près les critères de cyclothymie pour s’apercevoir de la présence
- des oscillations thymiques perpétuelles à dominante vers le bas
- de l’alternance entre des périodes de pessimisme et d’autres optimisme
- des changements brutaux d’humeur et d’énergie qui sont trop bas ou trop hauts (mais pas d’hypomanie) et rarement entre les deux
- une tendance à exploser, une intolérance à la frustration, ainsi qu’une confiance en soi instable.
- une hypersensibilité émotionnelle et réactions disproportionnées sont au 1er plan. (Les scores au questionnaire « Ripost » montrent : Réactivité émotionnelle : 57 ; Intensité émotionnelle : 55 ; Instabilité émotionnelle : 56)
- une hypersensibilité au rejet et à l’abandon (ex : rupture amoureuse à 20 ans avec ruminations sur cet homme jusqu’à 7 ans après la séparation)
- une hypersensibilité à la critique.
- un trouble des conduites alimentaires type boulimie avec vomissements de 16 à 20 ans (comorbidité classique avec la cyclothymie).
- Score de 14/21 sur le questionnaire tempérament cyclothymie avec un score de 9/21 sur hyperthymie
- Scores de 60/90 sur les dimensions « Réactivité Émotionnelle » et « Intensité Émotionnelle » (quest. RIPOST)

En plus, l’histoire familiale est également évocatrice : GPM mélancolique, père très sensible, instable, anxieux, nerveux et pessimiste ; une tante du coté paternel présente des éléments de bipolarité : oscillation de l’humeur, dépenses d’argent, tendance à l’excès, tendance à provoquer, très festive, fantasque et peu fiable.

La présence d’hypomanie typique n’est pas nécessaire pour établir le diagnostic de cyclothymie. Ce qui explique probablement la réaction de la psychiatre qui rejeté d’emblée le diagnostic de bipolarité. Pour cela je recommande à mes collègues de faire attention à ces cas et surtout de tenir compte de la réactivité négative aux antidépresseurs qui doit alerter sur la nature bipolaire ou cyclothymique de la dépression.

Bilan 3 mois après

Début juin, instauration d’un traitement à base de lithium 200 + lamotrigine 25 mg.
Au cours de la 2ème semaine, début d’effet positif « je me sens bien et surtout stable – un effet tout à fait nouveau que je n’ai jamais eu avec les antidépresseurs »
Traitement bien toléré à part un vertige transitoire (baisse de l’antidépresseur ?)
Trois plus tard, confirmation de la stabilité avec des fluctuations modérées vers le bas. Lamotrigine augmentée à 50 mg.
La qualité de la réponse à ce traitement, spécifique et faiblement dosé, est en faveur du diagnostic de la bipolarité « soft » ou cyclothymique.
La présence de traits hyperthymiques et d’un niveau élevé d’Intensité Affective (score 60/90) sont prédictifs de la réponse rapide au lithium (micro-dosé).
Jʼaurai lʼoccasion plus tard dʼévoquer cette efficacité rapide et spécifique au lithium qui sʼavère liée à lʼhyperthymie et lʼintensité affective