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A 26 ans, je commence à vivre

24/06/2012

Cas cliniques > Etude de cas

Ce cas clinique illustre, parmi des dizaines de cas vus au CTAH, l’importance des bilans cliniques détaillés notamment face à une dépression récurrente et résistante aux antidépresseurs.
Mr J., 25 ans, consulte pour une évaluation diagnostique
Il se décrit comme dysthymique de tout temps. Un premier Episode Dépressif Majeur est trouvé à 20 ans, suite à l’arrêt brutal de sa formation de préparation au concours administratif « en raison du manque de maitrise, la peur de ne pas y arriver, que tout est vain ». Cet épisode serait encore présent actuellement, sans discontinuer.
Deux tentatives de suicide sont trouvées : à 20 ans (tentative de défenestration) et 23 ans (a avalé puis recraché de l’eau de javel). Une hospitalisation est notée à 20 ans, pour dépression, pendant deux semaines. Au cours de cette hospitalisation, il aurait tenu des propos incohérents pendant une hospitalisation pour dépression, « avec délire, mais il n’y a pas eu de compte rendu et j’étais sous fortes doses d’anxiolytiques ».

L’interrogatoire révèle la présence des phases d’hypomanie depuis l’âge de 18 ans avec euphorie, diminution du besoin de sommeil, tachypsychie, sentiment de grandeur, hyperactivité physique, augmentation des projets, dépenses d’argent. « Je dirais, qu’entre 18 ans et actuellement, j’ai dû avoir dix ou quinze phases comme cela, souvent au début d’un projet puis cela tombe à l’eau car le projet est trop dur ». Chaque phase durerait quelques heures à quelques jours. La dernière phase date d’il y a 3 mois, suivie d’une aggravation de la phase dépressive.
Aucune oscillation permanentes ou brusque de l’humeur n’est notée. Aucun élément d’hyperthymie n’est trouvé. Le score sur le questionnaire « Tempérament cyclothymique » = 12/21) et sur la check-list hypomanie = 13/20 (scores positifs en faveur du trouble BP-II).

Des vérifications sont décrites de 15 à 20 ans : portes de la voiture, fenêtres de la maison, porte, brossage des dents « pour qu’elles soient bien propres ». Les douches duraient entre 10 et 15 minutes.

Une Phobie Sociale est décrite de toute temps, avec la peur « qu’on regarde ma démarche et que l’on en déduise que je suis mal à l’aise ». Il se décrit comme étant très timide, méfiant, « alors que j’aurais adoré avoir des amis, je souffre de solitude ». Il planifie tout de façon anxieuse, est dans un contrôle important : « je redoute tout et je me fais mille scénarios à l’avance », ce qui montrerait la présence d’un TAG et non d’hypothèses TOC ou POC.
On note une tendance à l’hyperphagie dans les phases de dépression « pour décompresser des sensations dépressives et du sentiment d’échec ».
Il a eu plusieurs traitements :
  • Deroxat (40) pendant un an, sans effet
  • ,
  • Lamictal : qui a été arrêté au bout de 3 jours car un médecin contestait l’hypothèse de trouble bipolaire,

  • Effexor (150) : paresthésies,

  • Abilify : ralentissement avec hyper idéation.


  • L’arbre généalogique de la famille montre un père « très travailleur », un oncle paternel « très bosseur », des grands parents paternels divorcés. La grand mère paternelle serait « boulimique, impulsive, avec des achats compulsifs », et le grand père paternel très travailleur. Un cousin du côté maternel serait hyperactif.

    Courrier du patient (6 mois après la visite et la mise en place du traitement)

    « Voilà maintenant plus de 6 mois que j’observe la prescription que vous m’aviez indiquée lors de notre consultation en Nov 2011. Votre avis diagnostique se prononçait en faveur d’un trouble BP type II. Suivant vos préconisations, je prends actuellement de la Sertraline (qui était déjà prescrite) ainsi que le sel du lithium à 400 mg.
    Le résultat est surprenant : depuis je n’ai pas vécu de nouvelles rechutes dépressives (alors que celles-ci étaient régulières auparavant) et je constate que bien que je n’aie pas encore résolu toutes mes questions d’insertion professionnelle, je suis confiant et heureux de vivre !
    Mes projets sont optimistes mais prudents. Car je suis moins euphorique et mes proches me trouvent changé. J’arrive également maintenant à mieux gérer mes débordements émotionnels (même s’il y en a) grâce notamment aux conseils de psycho-éducation développés dans votre livre.
    Quand j’ai accepté de me conformer à vos recommandations, je ne pensais pas que ça changerait quoi que ce soit : je pensais que je trouverais toujours la vie absurde et source d’angoisses.
    C’est incroyable car je pensais que, depuis ma naissance, j’étais condamné à vivre mais à présent, je suis content de vivre et ça se voit sur mon visage (on me le dit : je souris, je plaisante, je chante) !!
    Aujourd’hui, je désire vous exprimer ma gratitude pour votre aide à un tournant de ma vie – à 26 ans, je commence à vivre.
    »

    Ce cas clinique illustre, parmi des dizaines de cas vus au CTAH, l’importance des bilans cliniques détaillés notamment face à une dépression récurrente et résistante aux antidépresseurs. Le dépistage systématique a révélé des scores positifs pour l’hypomanie et la cyclothymie. Le reflexe thérapeutique est de garder une certaine dose d’antidépresseur (qui est déjà prescrit avant – car il faut toujours éviter le sevrage induit par un arrêt brutal des antidépresseurs) et ajouter une petite dose de lithium (pas plus de 400 mg). Dans la moitié des cas, une réponse positive est observée dès 48 heures du traitement ; dans l’autre moitié, lé délai de réponse varie entre 1 et 2 semaines.
    Cette réponse « fantastique » au lithium peu dosée confirme la nature bipolaire de la dépression – un argument robuste à ajouter aux autres arguments cliniques comme l’âge de début, la comorbidité, la récurrence dépressive et hypomaniaque, le risque suicidaire…

    juillet 2012