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Refus de diagnostic : il faut sʼindigner

17/01/2011
Auteur : Dr Hantouche

Cas cliniques > Diagnostics difficiles

Le cas dʼune jeune bipolaire cyclothymique qui suscite une réaction dʼindignation face à la méconnaissance de son trouble et aux traitements inadaptés.
Les patients nous racontent leur parcours du combattant pour obtenir un diagnostic précis, la réticence des psychiatres vis-à-vis des patients qui veulent savoir s’ils sont bipolaires et, le plus étrange, l’opposition active de certains psychiatres quand un de leurs patients a été reconnu bipolaire et amélioré de manière spectaculaire par un traitement adapté. Ces patients entendent dire "mais vous n’êtes pas bipolaire ! ". Je peux comprendre que certains diagnostics nous échappent en psychiatrie mais engueuler un patient qui veut consulter un expert ou qui va mieux grâce à un thymorégulateur est inadmissible !

Voici un exemple parfaitement parlant de ce que je raconte :

Jeune fille de 12 ans, brillante et intelligente, vient nous consulter pour un TOC résistant qui s’aggrave malgré les traitements divers.

De son histoire complexe, je retiens :

- Première tentative de suicide à l’âge de 6 ans ! "j’ai l’impression d’être déprimée depuis l’âge de 6 ans quand j’ai fait ma première tentative de suicide par pendaison".

- Traits nets de cyclothymie. "Je me sens très oscillante, soit calme, soit très agitée. Je peux être très triste suite à une mauvaise nouvelle, ou très impulsive après un non". Le score sur le questionnaire tempérament cyclothymique hypersensibilité (score max. 25) = 24 selon la jeune patiente et 24 selon la mère.

- Automutilations depuis l’âge de 6 ans.

- 3 hospitalisations en psychiatrie.

- Tempérament : attachante, forte cyclicité des humeurs avec hypersensibilité et hyper-réactivité émotionnelles; selon la mère "Elle est hyper impulsive, agressive, insultante, puis elle culpabilise énormément".

- Phases d’hyperactivité hypomaniaque brèves et récurrentes : deux fois par semaine, pendant quelques heures, ou tous les jours, le plus souvent sur un mode mixte plutôt que pures.

- TOCs complexes depuis l’âge de 8 ans, ayant résisté aux traitements médicamenteux et à la psychothérapie (Zoloft, Prozac, Risperdal et Lepticur) avec des crises de panique.

- 6 médecins consultés pour ses TOC, sans aucune évolution ; la preuve : score sur la YBOCS = 35 (score max. 40).

- Histoire familiale typique : mère souffrant de TOC et père bipolaire ayant fait 5 tentatives de suicide.

L’ensemble de ces éléments ne fait aucun doute sur le diagnostic de TOC cyclothymique ; mais le reste est encore "meilleur" : sous antidépresseur, le cas de cette jeune fille s’aggrave, ce qui conduit à une combinaison avec un neuroleptique (Risperdal à 3 mg) qui induit un syndrome extrapyramidal sévère (contractures généralisées, tremblements, dyskinésies) et pire un adénome hypophysaire qui comprime le chiasma optique. Malgré cette intolérance, le traitement actuel comporte toujours du Prozac et du Risperdal !!

Quand la jeune patiente annonce à son psychiatre qu’elle venait consulter un expert des TOC résistants et des troubles bipolaires, elle se trouve dans une situation embarrassante "Je ne croyais pas mes oreilles : il m’a carrément engueulée ! Il a presque explosé quand j’ai prononcé le mot bipolaire." !!! No comment !

Mais il y a de quoi s’indigner, notamment, quand on sait que la jeune fille a été soigné dans un milieu universitaire d’une grande ville en France.

C’est devenu un classique d’entendre les formules lapidaires que les psychiatres utilisent, comme "la bipolarité est à la mode" ou "Chez moi, il n’y a pas d’étiquettes diagnostiques". Ces slogans non fondés et dangereux doivent être éliminées.

Endosser le diagnostic de bipolarité n’a jamais une question de mode. En effet, les patients ont souvent tendance à avoir peur des diagnostics psychiatriques, notamment celui de bipolarité qui rime toujours avec PMD ou Psychose Maniaco-Dépressive, et des implications thérapeutiques ("lithium à vie"). Nous pensons que les psychiatres qui s’opposent activement au diagnostic de bipolarité sont eux-mêmes démodés avec une connaissance assez limitée et rudimentaire de la bipolarité. Surtout ils ont la mémoire courte, car ils ont oublié que la définition principes de la bipolarité tant dans sa "double forme" que dans sa "circularité", a été initialement proposée par deux psychiatres français (entre 1853 et 1854) : c’était l’âge d’or de la psychiatrie française !

De plus, il y a quelque chose qui me paraît bizarre : comment ces psychiatres peuvent-ils affirmer l’absence d’un diagnostic ou réfuter celui d’un expert, en quelques minutes, sans la passation des questionnaires de dépistage. Face à un patient qui s’interroge sur la nature "bipolaire" de ses troubles, il convient de respecter cette demande et lui proposer un bilan clinique complet adapté pour explorer l’ensemble des troubles de l’humeur. Cela convient aussi à tout patient présentant une dépression ou un autre trouble pouvant appartenir au spectre bipolaire. En l’absence d’une telle approche clinique systématique, il n’est pas étonnant de rater le diagnostic de bipolarité.
Je recommande à tous les lecteurs de notre site d’exiger de la part de leurs médecins (traitant ou psychiatre) la passation d’un bilan clinique le plus complet possible.

On souhaite que l’année 2011 soit plus clémente et ouverte au dépistage correct de la bipolarité, notamment pour les cas similaires au cas présenté.
On aura l’occasion de faire le point sur le débat au sujet de la bipolarité et notamment du spectre bipolaire. Est-ce qu’il y a des dérives de voir la bipolarité partout ? Certes, ces dérives existent comme pour tout diagnostic psychiatrique. D’où la nécessité d’avoir recours aux dernières données épidémiologiques et cliniques et surtout de les appliquer dans un format utile pour le dépistage et la typologie de la bipolarité.
L’association CTAH-Recherche annonce l’extension de son site avec la mise en ligne du projet "TRAMES-BP", un ensemble d’outils d’exploration clinique interactive des troubles de l’humeur.

mars 2012