Association CTAH-Recherche

Le dossier du moisJuillet 2012

Bipolarité et lithium

Quel rôle peut jouer le lithium dans le traitement de la bipolarité ?

L'edito

par Dr Hantouche

Le lithium : to be or not to be

Il ne suffit pas de porter le diagnostic de bipolarité pour prescrire du lithium, mais poser les bonnes questions, notamment « quel profil clinique le patient bipolaire présente-t-il ? »


En effet, la bipolarité présente des sélectivités pharmacologiques, avec des réponses excellentes au lithium dans certaines formes cliniques et à d’autres psychotropes dans d’autres formes.


La précision diagnostique est une étape fondamentale dans le choix des médicaments et en plus dans la manière de prescrire (doses, combinaisons…). Notre expérience au CTAH nous révèle tous les jours l’importance de la démarche clinique qui intègre à côté des épisodes majeurs, les dimensions de l’hypomanie, les tempéraments (cyclothymiques et hyperthymiques), le mode évolutif, l’âge de début et l’histoire familiale.


Cette approche contredit d’une part la vision monolithique de la maladie bipolaire (on est ou on n’est pas bipolaire) et d’autre part l’usage rigide du lithium (doses élevée, bilans sanguins de lithiémies…).
Le dossier de Juillet 2012 fera le point sur l’usage du lithium dans le spectre bipolaire, un usage plus souple qui s’adapte au plus près de la présentation clinique du patient bipolaire avec une tentative de mettre en exergue le profil de réponse « fantastique » aux petites doses du lithium.

La tribune

par Dr Hantouche

Associer type de bipolarité et prescription

Il ne suffit pas de porter le diagnostic de bipolarité pour prescrire du lithium ! Et quand on prescrit le lithium, il existe plusieurs modes d’usage.

Etude LITMUS


Il s’agit d’une étude originale qui concerne l’évaluation des bénéfices de l’ajout du lithium à dose modérée au traitement usuel de la bipolarité (LITMUS pour « LIThium Moderate dose Use Study »). L’étude a été coordonnée par Andrew Nierenberg (NIMH) et publiée en 2009.
Globalement, l’étude LITMUS n’a pas réussi de montrer les bénéfices de cette stratégie ; en effet la comparaison des 2 groupes : « avec ajout du lithium » versus « sans ajout », n’a pas révélé de différences significatives sur les 2 critères principaux d’efficacité : score sur la CGI-BP-S (sévérité globale) et nombre des ajustements médicamenteux nécessaires.
Le lithium a été prescrit à 300 mg pendant les 3 premiers jours puis à 600 mg pendant 8 semaines – au-delà de cette période, possibilité d’ajuster la dose (sans dépasser une lithiémie supérieure à 1,2 mEq/L).
Certains points peuvent expliquer ces résultats négatifs :
  • le dosage modéré du lithium (600 mg/jour)
  • une faible observance
  • design de l’étude (en ouvert)
  • l’usage d’échelles d’évaluation clinique à faible sensibilité au changement
  • la sélection des patients (p. ex. non répondeurs au lithium)
  • Selon les experts, l’échec des résultats de l’étude LITMUS a été en réalité un test positif confirmant les mauvaises perceptions de la maladie bipolaire. Le Lithium ne peut pas être administré à tous les patients diagnostiqués comme bipolaires avec l’objectif d’obtenir une bonne réponse.

    Quelles leçons peut-on tirer de cette étude ?


    Le Lithium a prouvé son efficacité comme stabilisateur de l’humeur depuis les années 60 avec des études en ouvert (Angst et al, 1970) et contrôlées (Schou 1976). Cette efficacité est validée dans la majorité des guidelines thérapeutiques des troubles bipolaires et dans des articles de synthèse (Licht R, 2011).
    Toutefois, d’autres études récentes (années 90 et au-delà) suggèrent l’absence d’effet de stabilisation avec le lithium. En effet, dans la majorité des études de maintenance réalisées au cours des 15 dernières années a échoué de séparer le lithium du placebo (Bowden et al. 2000) ou réussi de révéler seulement une réduction de l’hyperactivité maniaque (Calabrese et al 2003, Bowden et al 2003).
    Le contraste entre ces deux réalités, « lithium efficace dans les années 70 » et « lithium inefficace dans les années 90 », réside dans une raison évidente relative au concept diagnostique de la bipolarité : diagnostic traditionnel de Kraepelin versus conception de spectre bipolaire. Ce qui revient à dire que la sélection des patients est un facteur majeur pour interpréter et prédire l’efficacité des thymorégulateurs. En effet, le meilleur résultat thérapeutique avec le lithium a été observé dans les formes bipolaires de type épisodique avec rémission complète entre les épisodes (sans inclure les cas avec des éléments psychotiques incongruents avec l’humeur) – ce qui cadre avec la conception kraepelinienne classique de la PMD.
    Des études récentes ont été capables de confirmer cette efficacité liée à la forme épisodique de bipolarité avec rémission complète (p. ex. avoir un profil normal sur le test MMPI au cours de la rémission) :
  • Berghoefer et al. (2007)
  • Rybakowski et al. (2001)
  • Tondo, Baldessarini, et al. (2000)
  • Cette constatation est à rapprocher de la réponse positive au lithium dans des troubles épisodiques non bipolaires comme :
  • psychoses cycloïdes (Perris et al.)
  • psychoses schizophréniformes (Garver et al 1984, Hirschowitz et al 1988)
  • céphalées périodiques ou « cluster headaches » (Capobianco, Dodick 2006)
  • Au total, on peut affirmer que l’efficacité du lithium est liée au mode d’évolution épisodique de la bipolarité – qui capte une grande partie de la variance obtenue dans les analyses multi variées comparant les répondeurs au non répondeurs au lithium (Grof 1994, 2010).
    Cette relation intime entre l’effet prophylactique du lithium et le mode d’évolution épisodique n’est pas observée avec d’autres effets thérapeutiques du lithium, comme par exemple l’effet anti suicide qui semble indépendant de l’effet stabilisateur (Muller-Oerlinghausen et al.,1994, 2003)

    Kraepelin vs. Spectre Bipolaire


    Rappelons que pour Kraepelin, le mode évolutif épisodique est le critère fondamental de la PMD ou bipolarité. Depuis les années 70, le concept clinique de la bipolarité ne cesse de changer avec un élargissement des frontières du domaine bipolaire. Ce qui est illustré dans la conception de Spectre Bipolaire, introduite par Akiskal en 1977. Cette conception élargie de la bipolarité a ses arguments psychopathologiques, familiaux et pronostiques (Angst et al 2002, Akiskal et al. 2002, Ghaemi et al 2002); En effet, pendant longtemps l’hypomanie souffre de l’absence d’un dépistage correct et la cyclothymie totalement négligée. Malgré ces arguments, cette approche a augmenté de manière spectaculaire la prévalence des formes hétérogènes de bipolarité, ce qui a vraisemblablement introduit une variété assez importante de mode de réponse aux traitements stabilisateurs, notamment l’échec du lithium dans les formes non épisodiques.
    Les conséquences sur les guidelines thérapeutiques sont majeures. Ainsi le diagnostic de bipolarité ne suffit plus pour porter l’indication du lithium comme traitement stabilisateur de premier choix – mais plutôt un profil clinique particulier de bipolarité. Cette conclusion est récemment soutenue par des études assez larges en ouvert et contrôlées (Passmore et al.2003, Alda et al. 2004, Grof 2002).

    L’univers du spectre bipolaire n’est pas homogène ni plat. L’hétérogénéité de la réponse au lithium en est la preuve. Ce qui nous conduit à regarder la maladie bipolaire avec plus de précision en tenant en compte d’autres facteurs que le simple diagnostic de bipolarité, comme le mode évolutif (épisodique avec rémission versus résiduel / circulaire). Le lithium doit être ainsi réservé aux patients bipolaires présentant des caractéristiques cliniques similaires aux cas chez qui l’efficacité du lithium a été initialement prouvée dans les années 70.
    L’hétérogénéité de la bipolarité est bien connue et illustrée par de nombreuses études, comme :
  • Angst 1978, 2003 : 3 sous-types distincts selon la forme clinique avec dominance maniaque et/ou dépressive (MD, Md, Dm)
  • Bellivier 2001, 2003 : 3 sous-types en fonction de l’âge de début
  • Grof 2003 : 3 sous-types en fonction de la réponse au traitement
  • Alda 2004 : 3 sous-types selon le profile clinique global
  • Akiskal et al. 1999, 2005 : Plusieurs sous-types selon les tempérament et l’évolution
  • Selon les Prof Alda et Grof, il existerait 3 formes de BP répondant aux critères du DSM-IV qui correspondent aux données pharmacologiques et génétiques (cf figure)
  • Forme BP épisodique, répondeur au lithium (association avec des anomalies sur les chromosomes (3, 6, 21)
  • Forme BP avec éléments psychotiques (anomalies sur les chromosomes 13 et 22)
  • Formes avec comorbidité anxieuse et trouble panique (liaison avec des anomalies sur le chromosome 18)

  • Malheureusement, ces précisions phénoménologiques et évolutives ne sont pas appliquées ni dans les études pharmacologiques ni dans la pratique. Insistons que ces précisions sont importantes pour les décisions thérapeutiques – car le traitement de la bipolarité n’est pas juste de traiter des symptômes ou des épisodes, mais un traitement de longue haleine, qui vise la meilleure réponse à moyen et à long termes, notamment la protection contre les récidives (cf tableau)






    Réponse àNeuroleptiques atypiquesLithiumLamotrigine
    Histoire familialeNégative ou psychose, troubles chroniquesTrouble épisodique bipolaire ou unipolaireTroubles anxieux, addictions
    Qualité de rémission : résidusprésentsabsentsprésents
    Polarité dominantePlutôt maniaquePlutôt dépressivePlutôt dépressive
    Présentation aiguëAtypique (frontière psychotique)TypiqueAtypique (frontière Borderline)
    ComorbiditéFréquenteRareTrès fréquente
    Psychopathologie dans l’enfanceFréquenteRareTrès fréquente - Abus
    Profile MMPIAnormalNormalAnormal
    Evaluations quotidiennes des symptômesDissociationsEpisodiquesDissociations

    Interchangeabilité des thymorégulateurs


    Une question serait posée : est-il possible de changer le lithium par d’autres psychotropes ?

    La réponse est soutenue par un cumul de preuves montrant que les patients bipolaires ayant bien répondu à un thymorégulateur montrent une réponse négative avec d’autres stabilisateurs. Ce qui contredit l’idée que le lithium, les antipsychotiques et les anticonvulsivants sont interchangeables. Effectivement, il existe une certaine sélectivité de réponse pharmacologique :
  • Grof (1985) a constaté que les patients présentant une réponse excellente au lithium échouent de répondre à la carbamazépine (tégrétol®) et vice versa
  • Post (1988) montre que les répondeurs à la carbamazépine échouent avec le lithium
  • Bowden et al. (1994) et Swann et al (1995) révèlent qu’une réponse antérieure au lithium est prédictive d’une bonne réponse actuelle au lithium et d’une réponse négative au divalproex (Dépakote®)
  • Tohen et al.(2002) observent que Olanzapine (Zyprexa®) réussit chez les patients ayant antérieurement échoué à répondre au lithium et au divalproex.
  • Ainsi, pour faire le « bon » choix du traitement de la bipolarité, la bonne question à se poser n’est pas « quel médicament à ajouter ? » mais plutôt « quel est le profil clinique du patient bipolaire ? » ; « qu’est-ce qu’on a raté dans le bilan clinique ? »

    Vers une meilleure précision des formes cliniques de bipolarité


    Il est clair que la forme épisodique de la bipolarité occupe une place distincte. Décrite initialement par Kraepelin comme caractéristique fondamentale de la PMD, elle est confirmée comme une forme particulière avec réponse excellente au lithium. Notre expérience clinique dans le domaine bipolaire nous a conduit à envisager la bipolarité avec deux formes majeures : la bipolarité « épisodique » versus « instable – cyclothymique ». Il est désolant de constater que la cyclothymie soit autant négligée dans la recherche génétique et pharmacologique. Cela dit, notre riche expérience avec les formes atténuées de la bipolarité a révélé l’efficacité des traitements prescrits avec des doses assez faibles du lithium (entre 200 et 400 mg / jour) et d’autres thymorégulateurs notamment le valproate (entre 250 et 500 mg / jour) et la lamotrigine (entre 25 et 50 mg).
    Notre approche tient compte essentiellement de la dominance des tempéraments affectifs (« hyperthymique – stable » versus « cyclothymique - instable » ainsi que des dimensions basiques du style émotionnel (à savoir la « réactivité émotionnelle », « l’intensité émotionnelle », la « polarité émotionnelle » et la « stabilité émotionnelle »).
    Notre expérience clinique révèle que des réponses excellentes ont été observées avec :
  • le lithium à petites doses en cas de dominance de l’hyperthymie avec un niveau élevé d’intensité émotionnelle
  • la lamotrigine (Lamictal®) en cas de dominance de la cyclothymie avec niveau élevé de polarité émotionnelle négative et d’instabilité
  • le valproate (Dépakine®, Dépakote®) en cas de dominance de la cyclothymie avec traits irritables, niveau élevé de réactivité émotionnelle et comorbidité anxieuse (TOC, panique)
  • Il est ainsi clair que la réponse aux traitements dépend de la forme clinique de la bipolarité ; plus celle-ci est précisée meilleur est le choix du traitement – qu’il soit pharmacologique ou psychologique. Certains patients rapportent, avec cette méthode, une réponse spectaculaire dès le 2ème jour du traitement, d’autres évoquent une « contention douce » des émotions instables cycliques, d’autres rapportent les avis favorables de leur entourage (« on me trouve changé, plus cool, plus tranquille, moins stressé, moins lunatique… »), d’autres apprécient la capacité de contrôler les excès émotionnels sans perdre leur nature, d’autres sont étonnés par des changements rapides dans leur TOC (capacité de dire « non » au TOC sans lutte) ou dans la disparition de l’anxiété panique (sans besoin d’anxiolytiques)… malgré la réduction des antidépresseurs (voir même leur arrêt).

    Références


  • Nierenberg AA, Sylvia LG, Leon AC, Reilly-Harrington NA, Ketter TA, Calabrese JR, Thase ME, Bowden CL, Friedman ES, Ostacher MJ, Novak L, Iosifescu DV; Litmus Study Group. Lithium treatment - moderate dose use study (LiTMUS) for bipolar disorder: rationale and design. Clin Trials. 2009 Dec;6(6):637-48.
  • Alda M. The phenotypic spectra of bipolar disorder. Eur Neuropsychopharmacol. 2004 May;14 Suppl 2:S94-9.
  • Grof P. Sixty years of lithium responders. Neuropsychobiology. 2010;62(1):8-16.
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