Association CTAH-Recherche

Le dossier du moisJuillet 2013

Troubles bipolaires et cognitifs : la suite

A quel point souffrez-vous des difficultés de mémoire, dʼattention, de concentration ? Quels sont les impacts sur votre vie professionnelle ?

L'edito

par Dr Hantouche

Fardeau cognitif chez les bipolaires / cyclothymiques

Cʼest le complément du dossier du mois de mai 2013, consacré aux dérèglements cognitifs observés au sein des troubles bipolaires, un sujet qui prend de plus en plus dʼimportance, notamment en raison des liens étroits entre ces dérèglements et les difficultés de rémission fonctionnelle. En effet, ce qui importe dans la prise en charge des patients est la récupération de leur fonctionnement, un objectif qui va au-delà de la rémission clinique.
Dans ce complément, lʼaccent est mis sur les troubles cognitifs observés dans la bipolarité juvénile ainsi que sur les stratégies de « remédiation fonctionnelle » qui semble plus adaptée que la « remédiation cognitive » proprement dite, pour les patients bipolaires.
De plus, le dossier rapporte des extraits de la conférence organisée par Bicycle en avril 2013 à laquelle le Dr Coudé et le Dr Hantouche ont participé.

La tribune

par Dr Hantouche

De la Remédiation Cognitive à la Remédiation Fonctionnelle

Dans le dossier du mois de mai 2013, on a discuté le rôle des dérèglements cognitifs au cœur des troubles bipolaires, qui sont essentiellement représentés par des altérations de la mémoire verbale, lʼattention et les fonctions exécutives. Ces dérèglements vont de paire avec les difficultés dʼaccéder à un rétablissement fonctionnel, tous les deux étant liés avec la progression du trouble bipolaire. Ces liens entre le cognitif et le fonctionnement ont conduit à la mise en place des stratégies de remédiation cognitive qui sont adaptées à partir de celles initialement développées dans les traumatismes cérébraux, les troubles organiques du cerveau et la schizophrénie.
Comme les dérèglements cognitifs et les incapacités de rémission fonctionnelle sont liés entre eux et avec la progression du trouble bipolaire, il est évident que des interventions précoces utilisant des techniques de re-médiation fonctionnelle, soient proposées en les ajoutant à la psychoéducation et à la thérapie cognitive comportementale.

Remédiation Fonctionnelle : définition


La remédiation fonctionnelle fait référence aux interventions ayant pour objectif une restauration du fonctionnement psychosocial chez des patients souffrant de troubles cérébraux, organiques ou mentaux. Ces interventions sont essentiellement basées sur les concepts « dʼécologie neurocognitive », ce qui signifie des techniques sʼadaptant à la vie quotidienne des patients et en quelque sorte sʼopposant aux techniques cognitives proprement dites (désignées souvent comme un entraînement cérébral quʼune réelle récupération du fonctionnement). La remédiation fonctionnelle fait une alliance de la méthode de psychoéducation avec une action ciblée sur les dysfonctions cognitives impliquées dans les incapacités fonctionnelles. Cela revient à combiner dans lʼévaluation initiale, des mesures cognitives et du fonctionnement

Dérèglements cognitifs et troubles du fonctionnement


Certes il existe des déficits cognitifs dans la bipolarité qui sont présents même dans les phases euthymiques, et qui reflètent des anomalies dʼactivation de certains régions cérébrales, notamment dans le cortex préfrontal et ses connexions avec le cortex limbique. Mais ces déficits nʼont rien de spécifiques pour la bipolarité (p. ex. comparaison par rapport à la schizophrénie).
Parmi les données les plus importantes dans ce domaine, cʼest la mise en évidence des liens entre les déficits mnésiques (mémoire verbale) et la progression de la bipolarité. En premier ce déficit ne semble pas représenter un facteur prémorbide pour développer le trouble BP. En revanche, il sʼavère fortement corrélé avec le nombre des épisodes, la présence dʼun résidu clinique de dépression et les traitements. Ainsi, le déficit mnésique pourrait être considéré comme un témoin fiable de lʼefficacité dʼun traitement prophylactique. Ce qui semble tout à fait logique et crucial dans certains sous-groupes de patients bipolaires à début précoce ou à fort potentiel de récurrence. En dʼautres termes, le but ultime du traitement est de stabiliser le trouble en réduisant au maximum les récurrences des épisodes et surtout de préserver les fonctions cognitives (une condition nécessaire pour que le patient récupère un bon niveau de fonctionnement et dʼinsertion psychosociaux).

Il est classique de constater que les patients avec des résidus sub-cliniques entre les épisodes présentent un niveau de fonctionnement plus faible que les autres patients BP. Ces liens entre « euthymie » et « fonctionnement » ont amené les chercheurs à se pencher sur les divergences des résultats des études en lʼabsence de définitions claires de ces états. Toutefois, on peut retenir que les troubles de la mémoire, de la planification et de la solution de problèmes, sont constamment associés à un mauvais fonctionnement. En effet, de tels troubles cognitifs exercent un impact péjoratif sur les approches logiques de la vie de tous les jours.
Un autre déficit de flexibilité mentale (sur le test TMT-B : relier au crayon alternativement un nombre à une lettre de manière croissante comme 1-A-2-B-3-C-4-D…). est également corrélé avec une altération du fonctionnement dans les troubles BP-I et BP-II.

Lʼimpact sur le statut professionnel est un des problèmes majeurs dans le suivi des patients bipolaires. Mais on dispose de peu dʼétudes longitudinales ayant pu analyser les facteurs cognitifs capables de prédire au long cours le fonctionnement et le statut professionnel des patients bipolaires.
Dans ce contexte, il est aussi utile de regarder de plus près les patients bipolaires ayant un niveau de fonctionnement élevé et de mettre en évidence leurs stratégies dʼautogestion et de compensation pour maintenir un état de bien-être et de santé psychosociale (sommeil, sport, repos, évaluation, méditation, connaissance du trouble, anticipation des rechutes, connexions avec les autres, aide des autres patients, engagements…). Lʼidée est dʼapprendre de ces patients les stratégies utiles et positives et les intégrer dans la psychoéducation et la remédiation fonctionnelle.

Rémédiation fonctionnelle versus cognitive


La Remédiation Cognitive (RC) a été largement utilisée chez les patients souffrant de schizophrénie ou de psychoses. Une revue de la littérature a retrouvé seulement 5 études concernant la RC chez les patients ayant des troubles affectifs, dont une seule focalisée sur les patients BP [2, 3, 4 et 5] ! Ces études ont inclus des groupes de taille assez réduite (2 à 18 patients) avec une durée de 8 à 48 semaines pour la RC. Plus récemment, les techniques ont évolué au-delà de lʼamélioration cognitive, afin dʼagir sur le handicap fonctionnel. McGurk et al. [6] ont signalé que les effets de la RC sont plus importants en incluant une réhabilitation psychiatrique. Dʼoù le projet de remplacer la RC par une Remédiation Fonctionnelle (RF) qui propose des stratégies de gestion cognitive et dʼadaptation aux déficits enregistrés dans les différents domaines du fonctionnement (p. ex. résultats sur lʼéchelle FAST). La famille est également impliquée dans les processus facilitant la mise en place et le renforcement de telles stratégies
Tel est le projet proposé au centre bipolaire de Barcelone [1], qui comporte 21 sessions hebdomadaires (90 minutes / session) réparties comme suit :
  • 3 sessions de psychoéducation
  • 2 sessions pour améliorer lʼattention dans les activités quotidiennes,
  • 6 sessions focalisées sur les déficits et problèmes de mémoire
  • 5 sessions pour agir sur les dysfonctions exécutives (solution des problèmes, gestion du temps, planification et listing des priorités…).
  • 5 sessions dédiées à la communication et aux relations avec autrui, à lʼautonomie et la gestion du stress.

  • Les sessions sont prioritairement pratiques (basées sur des exemples de la vie de tous les jours) avec des tâches individuelles ou en groupe, avec des jeux de rôle et des exercices à domicile
    Les effets de la RF ont été évalués par des mesures neurocognitives assorties de mesures du fonctionnement et de qualité de vie (FAST, WHODAS-II et SF-36). Ces évaluations permettent dʼétablir au début du traitement la nature des problèmes à améliorer et de suivre les changements en sélectionnant le FAST comme variable dʼévolution [55, 69]. Lʼidée est de ne pas juste essayer de traiter un déficit cognitif ou dʼaméliorer une performance sur un test neurocognitif, mais dʼavoir comme repère lʼamélioration du fonctionnement dans la vie du patient [7].
    Lʼéquipe de Barcelone viennent de publier les résultats dʼune étude ayant inclus 239 patients bipolaires, répartis en 3 groupes : Remédiation Fonctionnelle (N = 77) versus Psychoéducation seule (N = 82) versus Traitement usuel (N = 80), suivis sur 21 semaines. Les résultats montrent des bénéfices supérieurs dans le groupe traités avec la RF en termes dʼamélioration fonctionnelle (8).

    Conclusion


    Les patients bipolaires ont besoin dʼune approche qui englobe la chimie du cerveau (prescrire le traitement adéquat et prophylactique), la psychoéducation (aide à connaître la nature du trouble) et la réhabilitation cognitive et fonctionnelle. Lʼéquipe de Barcelone propose une approche désignée RF qui vise les facteurs critiques impliqués dans lʼadaptation psychosociale du patient BP et dans sa rémission fonctionnelle. Cette approche combine des techniques purement neurocognitives avec dʼautres basées sur la psychoéducation et la solution des difficultés de fonctionnement au quotidien (analyse du contexte, traitement de lʼinformation, stratégies de compensation, monitoring des performances…). Le tout présenté dans un format adapté à la vie réelle des patients et applicable au quotidien.
    Cette approche a été proposée pour les patients avec un Trouble BP-I. Notre souci est de pouvoir adapter ces stratégies pour les patients cyclothymiques ; pour cela on a besoin dʼune recherche qui nous aide à mieux connaître :
  • le profil neurocognitif des cyclothymiques par rapport aux patients avec BP-I / BP-II
  • les domaines de fonctionnement altérés par la cyclothymie
  • la réactivité des cyclothymiques à ces stratégies de remédiation.
  • Références


  • 1. Anabel Martínez-Arán et al. Functional Remediation for Bipolar Disorder. Clinical Practice & Epidemiology in Mental Health, 2011, 7, 112-116
  • 2. Deckersbach T et al. Cognitive rehabilitation for bipolar disorder: An open trial for employed patients with residual depressive symptoms. CNS Neurosci Ther 2010; 16: 298-307.
  • 3. Naismith SL et al. Cognitive training in affective disorders improves memory: a preliminary study using the NEAR approach. J Affect Disord 2010;121: 258-62.
  • 4. Meusel LA et al. Evidence for sustained improvement in memory deficits following computerassisted cognitive remediation in patients with a mood disorder. Biological Psychiatryʼs 64th Annual Scientifgic Convention. Biol Psychiatry 2009; 65: 234S.
  • 5. Choi J, Medalia A. Factors associated with a positive response to cognitive remediation in a community psychiatric sample. Psychiatr Serv 2005; 56: 602-4.
  • 6. McGurk SR et al. Cognitive training for supported employment: 2-3 year outcomes of a randomized controlled trial. Am J Psychiatry 2007; 164: 437-41.
  • 7. Wilson BA et al. Behavioural Approaches in Neuropsychological Rehabilitation: Optimizing Rehabilitation Procedures. New York: Psychological Press 2003.
  • 8. Torrent C et al. Efficacy of Functional Remediation in Bipolar Disorder: A Multicenter Randomized Controlled Study. Am J Psychiatry 2013 (in press)