Association CTAH-Recherche

Le dossier du moisDécembre 2011

Et lʼamour ?

Comment la cyclothymie a affecté ma vie amoureuse ?

L'edito

par Melle Majdalani

Lʼamour, lʼamour et encore lʼamour

L’amour est le révélateur de notre âme, de notre personnalité, de notre fragilité, voir de notre folie. Il serait un miroir révélateur du « bon » et du « mauvais » en nous.


Qui a déjà aimé, sans passer sous la coupelle du changement, du chamboulement voire du séisme identitaire ? Qui n’a pas été touché par le feu de l’amour sans voir son état changer, parfois pour le meilleur et souvent pour le pire ?


Au commencement, il y a ce qui caractérise notre sensibilité, notre attachement, notre dépendance à l’autre, notre réactivité émotionnelle etc. En d’autres termes, notre « nature », une notion négligée en psychologie et en psychiatrie, qu’on appelle le « tempérament ».
Le dossier de ce mois fait le point sur les lois naturelles du tempérament et son influence sur la vie amoureuse, notamment à travers la cyclothymie, comme « nature » et « trouble ».

La tribune

par Melle Majdalani

La différence vient-elle de la biologie du cerveau

Le tempérament dicte nos réactions basiques ou endogènes face à l’environnement. On n’est pas à égalité face au monde qui nous entoure et on n’a pas, non plus, les mêmes besoins basiques. Certaines personnes sont stables avec des besoins cohérents avec le contexte de vie et d’autres comme les cyclothymiques sont instables, excessives dans leurs besoins et en décalage avec le contexte de vie.
Notre manière d’aimer est influencée par notre tempérament. Comme on le dit souvent, ce n’est pas l’amour en soi qui compte finalement mais la style et la manière de le l’exprimer et de vivre avec l’autre. Le tempérament a donc son mot à dire quand il s’agit d’aimer, d’être amoureux, attaché à quelqu’un… Un tempérament a ses propres lois et c’est bon de les connaître.


Première loi : « Un tempérament est, par définition, pour la vie »


On ne peut jamais changer de tempérament ; au mieux, on peut apprendre à le connaître, le respecter et faire des choix de vie qui sont compatibles avec lui. Par exemple, la vitalité, on l’a ou pas ; la sensibilité émotionnelle est forte ou faible ; la réactivité émotionnelle rapide ou lente...


Un tempérament ne change pas malgré l’éducation, les conseils et l’apprentissage. Ces facteurs ont un effet déterminant pour façonner la partie rationnelle de la personnalité (nos valeurs, principes, moralités…) mais sont incapables de changer le tempérament de base. Pour J. Kagan, il convient de considérer le tempérament comme une « contrainte » psycho-biologique ; en d’autres termes, un tempérament n’explique pas tout mais on « fait avec ». C’est une logique de « style et de manière de réagir » et non une logique de contenu, de moralité ou de vécu.


J. Kagan a identifié avec Nancy Snidman, à travers une étude longitudinale, chez les très jeunes bébés, deux tempéraments extrêmes : les peu réactifs et les hyper-réactifs :


  • Le premier tempérament (peu réactif) prédit dans l’enfance, une personnalité prudente et peureuse et dans l’adolescence, une humeur austère.

  • Le second (hyper-réactif) prédit une personnalité audacieuse durant l’enfance et à l’adolescence une humeur exubérante et sanguine.

  • Même si les auteurs affirment que les tendances du tempérament peuvent être modifiées par l’expérience, il reste cependant « l’ombre du tempérament » sur le développement psychologique de l’enfant. Et l’opinion des parents est claire sur ce point. Ils savent que cet enfant a un tempérament différent d’un autre enfant.


    Deuxième loi : « Un tempérament détermine la force des émotions et la vitesse de réactivité émotionnelle »


    Il est donc forcément impliqué dans les processus complexes de l’amour ; nous nous ne sommes pas ainsi tous égaux face à l’amour et chacun aimera à sa façon. Prenons l’exemple de la « sensibilité au rejet » ; On a tous besoin d’être aimé et personne ne rêve d’être rejeté. C’est tout à fait normal d’être obsédé par l’être qu’on aime ou d’en devenir dépendant, mais à un certain degré. Mais c’est à travers le tempérament qu’on va ressentir à des degrés variés le souci d’être rejeté. De même, la force et la vitesse des émotions influencent l’attachement, l’attirance, l’adversité, la frustration au sein d’un couple.


    Troisième loi : « Un tempérament interagit avec un autre tempérament ».


    On peut définir un tempérament de manière isolée et indépendante des interactions avec les autres ; on voit vite celui qui est actif et extraverti et celui qui est passif, réactif et introverti. Mais l’expression d’un tempérament (surtout ses forces et ses fragilités) se dévoile quand deux personnes interagissent entre elles, surtout quand deux personnes s’aiment et vivent ensemble. De la qualité de cette interaction va se développer un accord harmonieux (complémentarité, assortiments entre les besoins, les attentes et les valeurs) ou une incompatibilité (dysharmonie, interactions négatives, frustration, colère…). La nature et la qualité des interactions seront déterminants pour l’entente et l’équilibre du couple. Ainsi on peut mieux comprendre la fameuse formule « ils ont divorcé par manque de compatibilité » ou « ils sont faits l’un pour l’autre »


    Quatrième loi : « Un tempérament peut être caché »


    Face à son tempérament, une personne peut s’accepter comme elle est comme elle peut camoufler sa vraie nature émotionnelle. En effet, beaucoup de personnes sensibles n’osent pas accepter leur nature voir même s’y opposent et passent leur vie à lutter contre.


    Mais tôt ou tard dans une relation amoureuse, le tempérament va se dévoiler et s’exprimer. Soit on est accord avec soi-même dans la relation soit en désaccord. Un tempérament satisfait est garant d’une bonne entente au sein du couple, car le moindre désaccord au niveau du tempérament se traduira par des conflits. Impossible de se cacher, de s’éloigner de sa propre émotivité, de sa sensibilité. Même si on se le cache à soi, l’autre amoureux est là pour capter ce désaccord ; il le ressent et réagit en fonction, même s’il n’en est pas conscient. En effet, on subit les « clashs » émotionnels malgré notre volonté de bien faire.


    La leçon à retenir est de considérer l’expérience amoureuse comme une opportunité spéciale pour se connaître ; car cette expérience dévoile le fond de notre personnalité et accentuent ses défauts et ses qualités en même temps. Profitez de cette expérience pour se connaître, renoncer aux jugements, s’assouplir et apprendre à s’adapter au tempérament de l’autre. L’ultime objectif est de créer un climat d’entente et de dialogue entre les deux tempéraments – Même s’ils sont différents ou opposés – le but est de respecter cette différence.


    La plupart des gens passent leur vie en se voilant « la face de leur tempérament » (soit par ignorance de leur identité tempéramentale soit par refus de s’admettre comme ils sont). Tout est donc dans la connaissance de soi, de la partie émotionnelle – biologique.


    Sans parler de génétique pure ou de biologie à 100%, il est crucial de tenir compte des contraintes biologiques que subit notre cerveau – des contraintes qui influencent notre façon de réagir, notre manière de s’attacher, notre style d’aimer… Comme on dit, l’inné est réel mais limité pour tout expliquer. L’erreur est de le dénigrer !


    Cinquième loi : « Vive la différence »


    La théorie des tempéraments soulève pas mal de questions et d’implications, dont « à quoi ça sert ? » quand on aborde les problèmes de la vie amoureuse.


    Il est clair que les tempéraments ont un rôle dans l’adaptation sociale, car au moyen de leur diversité et complémentarité, naît un équilibre social. Chaque tempérament exerce une finalité nécessaire à cet équilibre. Les tempéraments influencent les interactions émotionnelles et relationnelles entre les personnes, notamment entre deux personnes qui s’attirent et s’aiment. Il est fort probable que la sélection des personnes qu’on attire ou qui nous attirent soit dépendante des tempéraments.


    Comme le tempérament comporte des dimensions fiables et stables dans le temps, il importe de les connaître pour mieux les gérer et maîtriser les impacts péjoratifs probables au sein du couple. En effet, le tempérament ne se limite pas à décrire une dimension subjective que chacun est le seul à ressentir mais au contraire il définit un style d’émotions et de comportements qui sont détectés par les tiers, notamment ceux qui sont les plus proches et intimes. Malgré le poids de la culture et du contexte social, le tempérament possède des caractéristiques universelles – ce qui donne un poids supplémentaire à son rôle dans la régulation des émotions et des interactions interpersonnelles. Les « empreintes » des tempéraments sont retrouvées chez les adultes. Le tempérament peut intensifier les réactions envers des événements stressants ou amortir le risque. Des relations robustes existent entre l’inhibition craintive tempéramentale et l’anxiété plus tard, et entre l’affectivité négative et la dépression. Les chercheurs ont aussi identifié des liens entre l’extraversion, le faible contrôle exigeant de l’effort et le développement de problèmes de comportement. La dimension « contrôle exigeant de l’effort » est reliée à l’adaptation et à une faible incidence des troubles de comportement. La « crainte » et « le contrôle exigeant de l’effort » prédisent le développement de la conscience. Dans notre centre, on a réussi de montrer chez les patients cyclothymiques, un niveau constamment élevé « d’affects négatifs » et de « sensibilité d’orientation » et des niveaux moyens sur le « contrôle » et « l’extraversion ». D’où la prédisposition à une vie amoureuse tourmentée, instable, complexe, orageuse, riche…
    Enfin, le tempérament est capable de prédire nos réactions émotionnelles en général et spécialement face à la personne (ou aux personnes) que nous aimons.


    « Vive la différence » !


    Nous sommes convaincus que le tempérament s’intègre bien avec une théorie ou une logique cohérente et plausible sur les différences et les dynamiques de la personnalité. Si l’approche de celle-ci est essentiellement une mise en évidence des différences entre les individus, le tempérament répond bel et bien à cet objectif. De plus, le but ne se limite pas à confirmer nos différences (on sait qu’elles existent), mais va plus loin, pour respecter ces différences et affiner les accords harmonieux entre elles.


    Le fait d’aborder l’identité de la personne par le tempérament est important car ça décrit un style émotionnel et ne se mêle pas de la moralité et des valeurs de la personne. Par conséquent, elle protège contre le jugement moral de l’autre. Par exemple, au lieu de dire « il a un mauvais caractère ; il est égoïste – narcissique ; il ne respecte pas mes besoins », on peut décrire son tempérament « il a réagit de manière intense – je le connais, c’est un hyper-réactif sanguin… ». Eviter de juger l’autre est une étape cruciale pour la stabilité d’un couple (indice de bonne santé du couple).


    La différence vient-elle de la biologie de notre cerveau ?

    On admet que le tempérament est la partie héritable et biologique de notre personnalité, alors que sait-on sur les déterminants biologiques : des gènes, des neurotransmetteurs, des circuits du cerveau… ?


    Depuis ces 20 dernières années, la génétique du comportement a été largement développée. Les 5 dimensions de la personnalité comportent des composantes héréditaires substantielles. On parle de 50% de part génétique et cette partie génétique est corrélée avec la stabilité des traits affectifs : 50% pour l’extraversion et l’agréabilité et 70% pour le névrosisme, l’ouverture et la conscience des autres. Donc la génétique contribue à la stabilité des traits !


    Mais qui dit stabilité ne signifie pas rigidité, automatisme ou fatalité – ou résistance aux changements. Cela signifie qu’il faut séparer les tendances fondamentales de la personnalité et les adaptations personnelles (vécus personnels, normes culturelles, événements de vie…). Mais une adaptation exige une interaction entre les traits basiques et les influences extérieurs. Dans ce sens, les adaptations de la personne parlent aussi de son tempérament !


    Mais que dit la biologie de notre cerveau ?

    Notre cerveau fonctionne avec des câblages sophistiqués dont la connexion est assurée par des substances chimiques : neurotransmetteurs et hormones. Sans aller dans les détails, nous ferons une synthèse pratique sur le rôle des neurotransmetteurs les plus connus, comme la dopamine, la sérotonine, le Gaba, la noradrénaline, la testostérone…


    Selon Braverman, notre personnalité est gouvernée par la biochimie du cerveau. Il explique qu’un nombre de déséquilibres psychologiques naissent des déséquilibres du biotempérament. Notre cerveau est en perpétuel changement avec des changements des niveaux des transmetteurs. L’idée c’est qu’un déficit d’un neurotransmetteur (ou son excès) est susceptible d’induire une tendance à développer des difficultés comportementales et émotionnelles. A défaut de corriger ce déséquilibre, le risque de trouble psychiatrique grandit. L’extraverti fonctionne avec plus de dopamine et l’introverti manque de dopamine (faible tension électrique) ; l’inventif a une activité AC positive et le pragmatique (moins d’AC – vitesse de propagation électrique diminuée) ; le réfléchi a une activité Gaba équilibrée et le spontané en manque (rythme électrique diminué) – enfin, l’émotionnel a la sérotonine prédominante en excès et le cérébral en déficit (synchronisation et harmonie électrique). La combinaison de ces préférences fait apparaître les bio-tempéraments :


  • « intuitif cérébral » - prédominance de la Dopamine – lobe frontal - extraverti, débordant d’énergie – aime le pouvoir, refus des critiques – « Que rien ne t’affecte jamais » - « que la force soit avec toi »

  • « intuitif émotionnel » - prédominance de l’Acétylcholine – lobe pariétal - l’idéaliste qui s’efforce d’être authentique, compréhensif et empathique – devise « toujours faire de son mieux »

  • « méthodique sensible » - prédominance Gaba – lobe temporal - c’est le gardien de l’ordre et des valeurs traditionnelles ; devise « toujours tenir parole »

  • « spontané sensible » prédominance sérotonine (lobe occipital) - devise « vivons en expérimentant »

  • Existe-t-il une attirance des contraires basée sur la chimie du cerveau ? La réponse est positive : il y a une biologie des paires biochimiques et il est probable que l’être aimé possède un bio-tempérament de nature opposée – ce qui est, selon, Braverman, souhaitable – ainsi les points forts et les faiblesses s’équilibrent dans le couple. Parfois l’attirance se fait par le caractère binaire des neurotransmetteurs qui fonctionnent par des effets excitateurs ou inhibiteurs


    Exemples :


  • Paire Dopamine – Acétylcholine (couple énergie + créativité) = dans l’amour, cette paire a un effet « ON » du circuit électrique - régissant l’intensité et l’enthousiasme ; une personne AC+ vit intensément la vie sentimentale à cent à l’heure et l’autre DA+ est un expert en capacités cognitives et en efficacité – ensemble, ils forment un couple idéal type « occidental »

  • Paire Gaba – Sérotonine (couple stabilité et joie de vivre) = position « OFF » du circuit électrique ; la personne Gaba+ apporte le calme, la sensibilité et l’empathie ; selon la dominance, 2 cas de figures avec la personne 5HT+ : si le Gaba est dominant = couple type « oriental » (zen en toutes circonstances) ; si la 5HT est dominant, c’est la joie de vivre et la légèreté qui l’emportent

  • De même, l’attirance des semblables est possible. Deux natures identiques peuvent donner une relation stable. En cas de carence chez un des deux, des problèmes surviennent si l’autre personne ne parvient pas à s’adapter à ce déséquilibre. De plus, l’échec survient quand chacun veut changer la nature de l’autre (veut obliger l’autre à changer ou à lui ressembler) – la solution est de rétablir un équilibre (rééquilibre) entre les deux natures.


    Références


  • Dr Eric Braverman,

    Un cerveau à 100%.

    Editions T Souccar, 2007