Trouble de la personnalité borderline et spectre bipolaire
Les liens et différences entre le trouble Borderline et le trouble cyclothymique posent de sérieux problèmes que ce soit pour la recherche ou dans la pratique. Au CTAH, on a décidé de ne pas porter le diagnostic de « Borderline » quʼen dernier. Comme on dit, il doit être un diagnostic dʼélimination, une fois quʼon a pu explorer la clinique complète du spectre bipolaire et donner au patient la chance de répondre aux traitements spécifiques de la cyclothymie. Dʼailleurs, les experts du trouble Borderline préconisent un traitement thymorégulateur sans mentionner la cyclothymie sous-jacente !
Différences et similitudes
Il est plus ou moins facile de distinguer entre bipolarité et Borderline si on se limite aux formes épisodiques de la bipolarité, à savoir les types classiques de BP-I et BP-II qui sont en fait caractérisés par la présence des épisodes de manie ou hypomanie (des épisodes avec une intensité et une durée suffisante pour les repérer).
Les similitudes et les différences entre le trouble borderline et le trouble bipolaire concernent lʼinstabilité émotionnelle, lʼimpulsivité et lʼhyperactivité hypomaniaque.
Lʼimpulsivité est une dimension commune aux deux troubles. Cependant, elle sʼavère être plus intense et constante du trouble Borderline et se manifeste plus fréquemment par des gestes suicidaires et dʼautomutilation. Chez les bipolaires lʼimpulsivité serait plus volontiers épisodique.
Lʼinstabilité émotionnelle se manifeste dans la bipolarité, par des changements qui se font entre les pôles dépressif ou tristesse et (hypo)maniaque ou exaltation. Chez les borderline, les oscillations se font plutôt entre lʼeuthymie (humeur normale) et la colère. Les changements dʼhumeur chez les bipolaires apparaissent comme « endogènes » (relation moins évidente avec lʼenvironnement) alors que chez les borderline, on constate un aspect « réactionnel » aux événements. Des études plus récentes vont dans le sens dʼune distinction entre le trouble « BP-II/cyclothymie » et « borderline » en fonction des modes de labilité émotionnelle (différences concernant lʼintensité et la fréquence des changements émotionnels). De plus, lʼétude de Reich montre que, sur lʼéchelle AIM (Intensité affective), le score moyen sur la sous-échelle « émotions positives » est deux fois plus important dans le groupe bipolaire alors que le score sur la sous-échelle « émotions négatives » est équivalent dans les deux groupes.
La dimension hypomaniaque sʼavère être dʼune durée moyenne plus brève chez les borderline (inférieure au seuil de 4 jours, selon le DSM-IV TR). Par ailleurs, deux études longitudinales ont montré quʼun début précoce de lʼhypomanie chez des patients bipolaires prédit lʼapparition ultérieure des symptômes du trouble borderline sans pour autant présenter les critères complets de ce trouble (ce qui complique la question du chevauchement cliniques entre les deux troubles).
Malgré les différences cliniques et phénoménologiques entre les deux troubles, la question reste complexe quand il sʼagit dʼappréhender la comorbidité entre les deux. Par exemple la présence dʼun trouble borderline chez des patients bipolaires, se distingue par des niveaux nettement plus élevés dʼimpulsivité, dʼagressivité et de conduites suicidaires. Ainsi la question ne se pose pas en termes « borderline ou bipolaire », mais plutôt en termes dʼaggravation du pronostic de la bipolarité en cas de présence du trouble borderline.
Le problème réside dans la définition du trouble Borderline
En effet, on ne dispose pas de symptômes spécifiques du trouble borderline et cela est du à lʼabsence de définition précise et compréhensible de ce trouble, qui contraste avec une meilleure précision du spectre clinique de la bipolarité.
Par exemple, si on considère le symptômes « automutilations » (critère uniquement cité dans borderline), on se rend compte assez vite que cet item est plutôt lié à la présence du trouble BP-I / II (chez la patient et dans sa famille). De plus, ce symptôme est indépendant des conduites suicidaires. Pour preuve, lorsque le trouble Borderline coexiste avec le trouble bipolaire, le taux de tentative de suicide augmente mais pas celui dʼautomutilation.
Au total, les chevauchements, la comorbidité et lʼabsence de signes pathognomoniques expliquent la complexité de séparer entre Borderline et Cyclothymie.
Perspectives
La majorité des études ont sélectionné des patients « bipolaires » selon les critères classiques et officiels du DSM. Cela dit, notre hypothèse est basée sur une approche plus élargie du « spectre bipolaire » qui inclut notamment le trouble cyclothymique. Cette approche, inspirée du travail dʼAkiskal, tient compte de la conception des tempéraments affectifs comme des manifestations sub-syndromiques précoces des troubles de lʼhumeur. Selon cette conception, la personnalité borderline pourrait être considérée comme une variante distincte de bipolarité (différente des formes typiquement épisodiques de BP-I et BP-II). En effet, cette forme de bipolarité ne dépend pas uniquement de lʼalternance des épisodes majeurs, mais plutôt sur la présence dʼune instabilité émotionnelle persistante ayant débuté à un âge précoce.
Dans cette configuration phénoménologique, il serait intéressant dʼexplorer la dimension purement cyclothymique ou affective versus la dimension « borderline ». Pour cela on aura besoin dʼautres éléments que les dimensions déjà évaluées comme instabilité, impulsivité et hyperactivité.
Tempéraments affectifs
Dans le trouble cyclothymique, le tempérament affectif occupe une place centrale (contrairement au trouble bipolaire type I et II où les épisodes hypo ? maniaques sont la signature du trouble). En effet, la cyclothymie est caractérisée par un début précoce avec des oscillations perpétuelles des niveaux émotionnels, cognitifs et psychomoteurs. Ainsi les chevauchements entre la cyclothymie et celui de Borderline sont assez fréquents, notamment quand le tableau clinique est dominé par les phénomènes impulsifs et les dérèglements émotionnels.
Le tempérament est la base psychobiologique de la personnalité qui détermine la façon endogène de réagir à lʼenvironnement. On distingue cinq types de tempéraments : cyclothymique, hyperthymique, dysthymique, irritable et anxieux. Ces tempéraments affectifs sont définis par des critères sub-syndromiques des troubles majeurs en termes dʼintensité, de stabilité, de réactivité, de modes interpersonnels et de sommeil. En quelque sorte, les tempéraments affectifs sont en continuité avec les troubles de lʼhumeur (p. ex. dysthymie et dépression ; cyclothymie et bipolarité ; hyperthymie et manie chronique).
En plus, de cette continuité entre tempéraments et épisodes, les études montrent que les tempéraments affectifs influencent lʼexpression clinique des épisodes (p. ex. tempérament hyperthymique et dépression = dépression mixte), lʼâge de début (plus précoce dans le tempérament cyclothymique, lʼévolution au long cours (tempérament dépressif et chronicité de la dépression) ainsi que la réactivité aux psychotropes (virages maniaques et instabilité sous antidépresseurs en cas de cyclothymie).
Tempérament et Schémas de Vie
Les « schémas de vie précoces inadaptés » est une approche originale des troubles de la personnalité et spécialement du trouble borderline, qui a été élaborée par J Young qui propose une base de compréhension et dʼaide psychologique à ces troubles. Cette approche combine les tempéraments, les besoins de lʼindividu, les expériences précoces et lʼadaptation à lʼenvironnement. Young définie cinq « domaines » correspondant aux besoins affectifs fondamentaux avec un total de 18 schémas.
Lʼessentiel de la recherche sur les schémas précoces inadaptés (SPI) a été réalisée dans le trouble borderline. Elle montre la dominance des deux premiers domaines, à savoir « séparation / rejet » et « manque dʼautonomie et performance » et accessoirement le domaine « manque de limites ». Contrairement, peu de choses sont connues sur les schémas précoces inadaptés et la bipolarité. Une récente étude de D. Hawke et al. (2011) a montré que certains schémas précoces inadaptés étaient significativement corrélés avec le risque de survenue dʼun trouble bipolaire. Ce risque serait spécifiquement lié à la présence des schémas inhérents au domaine de manque de limites, et à lʼabsence de « schéma de contrôle émotionnel ». Cela dit, Il nʼexiste pas à lʼheure actuelle, dʼétude publiée ayant exploré les SPI dans le trouble cyclothymique ; A part une étude réalisée par le Dr. Hantouche, dont les analyses statistiques sont en cours. Les données préliminaires indiquent un niveau élevé dans 5 schémas : « abandon/instabilité » ; « dépendance / incompétence » ; « contrôle de soi / autodiscipline insuffisants » ; « abnégation » ; « idéaux exigeants / critique excessive ».
Quand les patients borderline, sont comparés aux patients bipolaires de type I en rémission et à des témoins sains, on trouve que les scores sont significativement plus élevées pour les 4 tempéraments (cyclothymique, irritable anxieux et dépressif) et pour la majorité des schémas précoces inadaptés. Ce résultat est en faveur de la discontinuité entre le trouble borderline et le trouble BP-I ; cependant, elle suggère une continuité voir même une parenté phénoménologique « flagrante » entre borderline et cyclothymie. Dʼoù lʼintérêt de considérer les tempéraments affectifs, notamment la cyclothymie dans toute exploration clinique du trouble Borderline.
Références
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