Association CTAH-Recherche

Le dossier du moisJuillet 2011

La cyclothymie nʼexiste pas

La cyclothymie est décriée, réfutée par quantité de médecins.

L'edito

par Melle Majdalani

La cyclothymie nʼexiste pas !

Certaines phrases que nous rapportent nos patients lors de leurs cheminements psychiatriques nous mettent hors de nous. Digne dʼun véritable parcours du combattant, le chemin emprunté par une personne cyclothymique est suffisamment source de souffrance pour ne pas le prolonger, dʼautant plus en affirmant une négation : « Non, la cyclothymie nʼexiste pas !».

Au nom de la liberté, certains de nos homologues sont prêts à aller très loin pour soi-disant préserver le libre-arbitre ! Il ne faut surtout pas cataloguer ! Il ne faut surtout pas coller dʼétiquettes ! Je me demande parfois de quelle liberté et de quel libre arbitre parle-t-on ! La liberté dʼannées dʼerrance sous le joug de lʼignorance, de la souffrance et de vies entières sabotées ? Comme si « mettre des mots » sur un trouble, « désigner » chez un individu ce qui dysfonctionne et lui permettre de mieux comprendre les symptômes qui jalonnent sa vie, lʼaliènerait.

Or, dans cette optique, obtenir un diagnostic est déjà quasi impensable. En revanche, je me demande comment les mêmes professionnels de la santé qui se refusent de donner un diagnostic à leurs patients se permettent de leur communiquer une négation de diagnostic. Comment peuvent-ils affirmer, avec certitude de surcroît, la non existence dʼun trouble ? Mes maîtres de pensée mʼont longtemps appris que lʼ« absence de preuves » nʼest pas synonyme dʼune preuve dʼabsence.

Ainsi, pour résoudre cette énigme et comprendre lʼaberration à laquelle nous nous retrouvons confrontés, je vous propose de plonger dans les arcanes de lʼesprit qui lʼa formulée. Pour cela, faisons appel aux « outils psychanalytiques » et analysons le sens caché de « La cyclothymie nʼexiste pas ». Le mécanisme qui nous saute aux yeux est la dénégation. Intéressons-nous donc au sens de ce mécanisme de défense névrotique tel que défini par la théorie psychanalytique. Cʼest un procédé par lequel un sujet exprime un désir, une pensée, un sentiment jusqu’ici refoulé, tout en se défendant, en niant quʼil lui appartienne. Cʼest une négation de la réalité perçue qui est source dʼangoisse et qui met lʼaccent sur ce qui est important. Elle se présente sous le mode du « ne…pas » car le refoulé est difficile à admettre.

En conclusion, cette phrase « Non, la cyclothymie nʼexiste pas » qui comprend dʼailleurs une double dénégation, devrait par conséquent nous réjouir au-lieu de nous révolter. En la formulant, certains psy reconnaissent, malgré eux peut-être, lʼexistence de la cyclothymie.

La tribune

par Dr Hantouche

La cyclothymie n’existe pas ?

La cyclothymie n’existe pas : c’est vrai, dans l’esprit de certains experts psychiatres pour adultes ou enfants qui affirment la non-existence de la cyclothymie

Ce post a été inspiré par la visite d’un adolescent, 16 ans, qui est venu consulter le CTAH pour avis au sujet de son TOC résistant.

Le terme "cyclothymie" existait bien longtemps (1882) avant celui de folie maniaco-dépressive (Kraepelin à partir de 1899 jusqu’en 1913) qui, comme tout le monde le sait, sera scindée en deux entités "bipolaire" et "unipolaire ou trouble dépressif récurrent" dans les années 60 du siècle dernier.

Histoire du TOC


Des TOC sont trouvés depuis l’âge de 8 ans avec le besoin de regarder le soleil pour se prouver que cela ne rend pas aveugle, jeter la tête en arrière pour se prouver que cela ne tue pas.

Actuellement, il sent la contrainte de cracher pour empêcher une contamination d’entrer dans le corps. Cette contamination serait due aux images de personnes qu’il n’aime pas et et aussi la peur d’être abandonné (s’il devient comme eux ?).
Le rituel exige aussi qu’il pense des gens qu’il aime pour annuler la pensée négative. Si la pensée négative persiste, il doit recracher, et se laver les mains si cracher n’a pas été suffisant. Il peut aussi crier pour annuler les obsessions. Il a déjà fait une TCC mais "n’était pas prêt" selon sa mère.

La conscience de ces troubles le met souvent en colère car l’exécution des rituels fait perdre du temps. Le TOC est peu présent au lycée, surtout concentré à la maison et autour du coucher (le lit).

Des Tics de raclement de gorge sont trouvés de 5 à 10 ans. L’intrication entre TOC et Tics est à approfondir (jeter la tête, crier, cracher sont des rituels atypiques).
Traitements pris pour soigner le TOC : Zoloft n’aurait eu aucun effet sur les TOC, Deroxat aurait provoqué de l’agressivité. Le traitement par Sertraline ne serait pas efficace.
L’évaluation du TOC à l’aide de la YBOCS montre un score de 13/20 sur "obsessions" et de 16/20 sur "compulsions", donc un score total de 29 : ce qui indique d’une part l’intensité du TOC et surtout l’échec total des ISRSs prescrits depuis 6 ans !!

Bilan des humeurs (épisodes, tempérament affectif)


Il se décrit comme constamment hyperactif, excité, énergique. Pour sa mère "il est excessivement joyeux au lycée, comme s’il sur jouait, et à la maison il est grognon. Je ne m’explique pas cette arrivée subite de confiance en soi excessive mais je sais qu’il a une peur colossale de perdre ses amis et est très possessif depuis cette peur du rejet à 14 ans".

Cette excitation serait apparue quelques mois après le début des antidépresseurs. Selon le jeune patient, cette excitation est liée à une volonté de s’intégrer en classe, mais l’association de l’excitation avec les crises de colère et l’état d’agressivité récent est en faveur d’un virage sous antidépresseurs (qui mérite d’être exploré davantage).

L’évaluation du tempérament révèle une hypersensibilité et une hyperréactivité émotionnelles, une hypersensibilité à la critique et au rejet, des oscillations permanentes et brusques de l’humeur entre l’excitation et l’agressivité.

Il devient agressif au moindre rejet, avec une réactivité accrue avec le temps qui passe. Il est impulsif et colérique avec des oscillations d’humeur dans la journée, principalement vers le haut. "Tout le monde à l’école le décrit comme hyperactif et ce depuis un an, alors qu’avant il était plutôt excité à la maison et timide à l’école, avec la peur d’avoir honte, des angoisses, des difficultés d’intégration, quitte à se donner un air car il ne trouvait pas sa place".

Ce changement est observé depuis le traitement avec la paroxétine, ce qui a alerté la famille et laissé de marbre le médecin prescripteur.

Aucun élément de dysthymie ou de dépression majeure n’est trouvé. Aucune hospitalisation pour EDM ou tentative de suicide n’est décrite.

L’arbre généalogique de la famille montre une mère cyclothymique, une tante maternelle ayant une tendance dépressive, une grand-mère maternelle cyclothymique (qui aurait fait deux tentatives de suicide et aurait été hospitalisée).

Second entretien en présence de la mère


En plus de l’inquiétude évidente de la mère, on note l’exaspération et l’indignation vis-à-vis des experts déjà consultés pour traiter le TOC de son fils.

Depuis le début, la mère suspectait autre chose que le TOC, notamment la présence de dérèglements de l’humeur : "souvent, je posais la question aux psychiatres au sujet d’un trouble bipolaire ou cyclothymique qui serait associé au TOC ? soit ils ne branchaient pas soit ils affirmaient, surtout le dernier expert dans un service universitaire réputé pour les TOCs résistants que la CYCLOTHYMIE N’EXISTAIT PAS !! Pourtant, j’ai signalé que moi, la mère, et sa grand-mère sommes des cyclothymiques avérées". La réponse de l’expert, "on garde le zoloft à 100 mg et si pas de réponse, on augmente les doses".

Alors on résume :
  • TOC à début précoce

  • Résistant à 3 antidépresseurs prescrits à des doses maximales sur plus de 6 ans

  • Notion de virage et de survenue d’état d’agressivité sous AD

  • Changement net du tempérament (de timide à désinhibé en classe)

  • Traits cyclothymiques nets

  • Histoire familiale positive pour la cyclothymie


  • Un ensemble d’arguments en faveur du diagnostic de "TOC cyclothymique" - un diagnostic qu’on évoque, le CTAH et l’AFTOC depuis plus de 15 ans et qui, malheureusement, reste ignoré, méconnu ou malmené par les psychiatres et les experts.

    Il est curieux de constater que les mêmes psychiatres qui, dans le temps, affirmaient l’absence du TOC (quand j’ai commencé à en parler en 1985), répètent la même erreur avec la cyclothymie (alors qu’ils adoptent avec panurgisme le diagnostic de TOC et rien d’autre).
    Nous tenons à rappeler que le TOC, malgré sa spécificité, est un diagnostic hétérogène soit dans sa construction syndromique soit dans sa comorbidité neurologique, bipolaire, psychotique, infectieuse.

    Un cas pareil illustre l’attitude rigide des cliniciens face aux diagnostics psychiatriques ; le constat est assez consternant : soit ils refusent de faire un diagnostic (avec le prétexte de ne pas coller une étiquète au patient) soit ils collent à un diagnostic le plus apparent (p. ex. dépression, TOC, anxiété?) et ont du mal à l’affiner ou le changer.

    Dans tous les cas, nous pensons que l’attitude de déni ou de négation de l’existence de la cyclothymie est intolérable et doit être, en quelque sorte, corrigée au plus vite. Car l’état de santé des patients qui en souffrent, surtout les jeunes, est sérieusement menacé car risque de les exposer aux antidépresseurs avec toutes les complications connues.

    Depuis plus de 15 ans, on parle de TOC et cyclothymie avec à l’appui une expérience personnelle, depuis 1985, avec plus de 2000 patients souffrant de TOC, deux enquêtes cliniques ayant inclus près de 1000 patients TOC, plus d’une dizaine de publications scientifiques, plus de 8 livres sur le TOC et la cyclothymie et l’écho auprès des cliniciens reste encore faible.

    Certains enseignants de l’AFTCC signalent dans leurs cours aux étudiants que "le TOC cyclothymique n’existe que dans mon cabinet" (il y a moins de 10 ans, ils disaient la même chose pour le TOC tout court).

    D’autres experts du TOC résistant affirment que "la cyclothymie n’existe pas" - comme ça, on est tranquille ; on se contente du diagnostic de TOC et on prescrit un ISRS (ou une TCC quand elle est disponible) et le boulot est fait.

    On peut très bien comprendre le fait simple et évident "si mon cerveau n’est pas entrainé à connaître quelque chose, il ne la verra jamais ; est-ce pour autant suffisant pour affirmer l’absence de cette chose ? Oui, son absence dans mon esprit".
    En Médecine et surtout en psychiatrie, un débat éternel existe entre les "faux positifs" et les "faux négatifs". Les experts d’un trouble donné se focalisent plus volontiers sur les "faux négatifs" (car les experts doivent faire face aux cas difficiles, résistants, atypiques chez qui le diagnostic de cyclothymie ou de bipolarité n’a pas détecté) et les cliniciens de base se méfient des ? faux positifs ? (p ex tout n’est pas bipolaire ou cyclothymique).
    Les deux ont raison et la réponse me paraît évidente : tout n’est pas cyclothymique, mais ne pas la dépister et la soigner, conduit certainement aux conditions difficiles, complexes, résistantes, atypiques et aux risques élevés de morbidité et de mortalité (suicide).

    Retour aux sources


    Quand, en 1882, Ludwig K. Kahlbaum créait le terme de cyclothymie (du Grec Kyklos, cycle et Thymos, état d’âme), il y incluait tous les troubles des plus légers aux plus graves. Il est vraiment regrettable que Kraepelin ait choisi le terme de Folie Maniaco - Dépressive bien qu’il connaissait la cyclothymie et qu’il en parle dans son traité (entre 1899 et 1913). Le terme de Folie Maniaco -Dépressive a certainement mis en évidence davantage les formes graves et par conséquent les psychiatres ont négligé les formes les plus légères de la bipolarité, comme la Cyclothymie.

    En France, 20 ans avant Kahlbaum, Marcé (1862), dans l’un des premiers traités français de psychiatrie, relevait la fréquence des formes atténuées et suggérait l’existence des personnalités bipolaires : lʼexcitation et la dépression constituent simplement des différences dans le degré de l’activité intellectuelle, à tel point que la maladie peut rester méconnue et être longtemps jugée souvent comme une simple bizarrerie dans le caractère et la manière d’être du sujet ?

    En 1898, Hecker aborde la cyclothymie comme une ? maladie circulaire de la sensibilité émotionnelle ?. Il l’a définit comme une variante légère mais distincte et autonome de la folie maniaque (il s’agit de la première distinction entre BP I et BP II !), sans délire, avec conscience morbide, persistante sur la vie (sans intervalles libres), avec une méconnaissance des phases d’excitation

    De nouveau en France, Gaston DENY publie en 1908, le premier article français sur la cyclothymie. Il considérait la cyclothymie comme une "constitution psychique spéciale" se manifestant pendant toute l’existence à partir de l’adolescence dont les frontières avec la pathologie maniaco-dépressive sont impossibles à tracer, de cause uniquement héréditaire et à prédominance féminine. Les idées de Hecker ainsi que de Deny sont d’actualité, basées sur des observations cliniques minutieuses.

    "Ce sont des sujets que l’on voit passer brusquement et sans motifs suffisants de l’enthousiasme au découragement, de la hardiesse à la timidité, de l’altruisme à l’égoïsme... de l’expansion à la dépression dans les différents domaines de la sensibilité, de l’intelligence et de la volonté... Les états cyclothymiques se succèdent et se remplacent habituellement au bout de quelques heures ou de quelques jours... Il ne me paraît pas douteux que ces différents malades qui sont tous, à des degrés divers, des inquiets, des préoccupés, des obsédés, des phobiques... ne soient pas réunis dans un seul groupe nosologique..."

    Alors, il est temps de rendre â ces experts pionniers la justesse de leurs observations sur une maladie qui n’est pas, comme on le prétend à la mode, sauf si la mode actuelle s’inspire de celle de la fin du 19ème siècle !

    Message à retenir


    Rien ne remplace un "bon diagnostic" - nier une maladie en psychiatrie est facile mais à condition d’assumer cette décision et les complications qui dérivent d’un "mauvais" traitement

    Pour plus d’information sur la cyclothymie, consulter dans Avis des experts -> BP adulte -> Cyclothymie

    REFERENCES SUR LA COMORBIDITE TOC ET CYCLOTHYMIE


  • ISSUES DE LA COLLABORATION AFTOC ET CTAH ? AVEC LA PARTICIPATION DU DR F KOCHMAN, PR B MILLET ET LE SOUTIEN DES PRS ANGST, AKISKAL ET PERUGI)

  • DEMONFAUCON C, HANTOUCHE E. Autour de la comorbidité entre TOC et trouble bipolaire : historique et enquêtes récentes. Nervure, Décembre 2001, Tome 14 : 9-15.

  • DEMONFAUCON C, HANTOUCHE EG. Approche dimensionnelle des rapports entre TOC et bipolarité : interactions entre émotivité, impulsivité et lenteur, place fondamentale de la symétrie. Synapse, Novembre 2001,180 : 31-40.

  • DEMONFAUCON C, HANTOUCHE E, GERARD D. Resistant obsessive compulsive disorder (ROC) : predictive factors and links with soft bipolarity. Poster presented at the 6th International Bipolar Conference, Pittsburgh, Juin 2005.

  • HANTOUCHE E. Comorbidité TOC et bipolarité. Revue du Praticien ? Médecine Générale, (Sp) Mars 2001 : 18-19.