Association CTAH-Recherche

Le dossier du moisNovembre 2011

Bipolarité et suicide

Pourquoi ?

L'edito

par M Trybou

Le suicide et sa relation avec les troubles bipolaires

Le suicide est un thème qui a toujours interrogé nos civilisations : les philosophes, sociologues, psychologues et psychiatres se demandent depuis longtemps ce qui peut expliquer ou justifier le passage à lʼacte suicidaire.


Le suicide est souvent décrit comme un acte désespéré, la tentative dʼéchapper à une condition sans issue, "un ras le bol définitif de la vie" comme le disent certains patients. Mais pour beaucoup dʼautres, cʼest avant tout un acte impulsif. Le suicide semble à la croisée de la dépression et de lʼimpulsivité, peut être un assemblage des deux composantes.


Le dossier du mois de novembre fait le point sur ce sujet épineux et douloureux avec la présentation dʼétudes sur le suicide, et le rapport avec les troubles bipolaires. En effet, les personnes souffrant de troubles bipolaires ont, dʼaprès les études dʼexperts, le taux le plus élevés de passages à lʼacte suicidaire. Il est alors cohérent dʼinvestiguer systématiquement es troubles bipolaires chez une personne souffrant de dépression et/ou verbalisant des pensées suicidaires.


Il est tout aussi cohérent quand on sʼinterroge sur le suicide de lʼenfant de prendre en compte lʼhypothèse de bipolarité juvénile, et dʼinvestiguer tout aussi systématiquement cette voie que chez les adultes. Pour le moment, la facilité à accabler les parents semble lʼemporter sur la pertinence des interrogations biologiques et chromosomiques.

La tribune

par Melle Majdalani

Suicide chez les jeunes et son rapport au trouble bipolaire

Le suicide, une des premières causes de mortalité chez les jeunes


Le suicide demeure, aujourd’hui encore, l’une des premières causes de mortalité chez les jeunes. Il met en jeu des facteurs d’ordre psychologique en relation avec des déterminants d’ordre psycho - social. Parmi les troubles psychiatriques, certains se distinguent par la fréquence du risque suicidaire. C’est particulièrement le cas du trouble bipolaire de l’enfant et de l’adolescent et pas seulement comme on le croit le propre de la dépression unipolaire.


Il y a donc une corrélation de la bipolarité avec une morbidité suicidaire et parasuicidaire élevée. Des recherches menées sur le rapport entre la bipolarité juvénile et suicide affichent des résultats concordant : un pourcentage élevé de jeunes atteints de troubles bipolaires est retrouvé parmi les adolescents ayant effectué une tentative de suicide.


Dans le cadre d’une étude réalisée auprès de lycéens, Lewinsohn et al. ont montré que 44,4% des tentatives de suicide chez ces adolescents étaient en rapport avec un diagnostic de Trouble bipolaire juvénile, tandis qu’un diagnostic de dépression majeure était porté chez 22% de ces jeunes lycéens suicidaires. Par conséquent, le diagnostic précoce de ce trouble revêt un intérêt capital dans le domaine de la prévention du suicide, car les troubles bipolaires pédiatriques se situent au carrefour d’un spectre psychopathologique varié et polymorphe qui englobe les pathologies les plus fréquentes et les plus préoccupantes pour la santé mentale des jeunes. Font partie de ces pathologies les conduites suicidaires, le TDAH, le trouble des conduites alimentaires, l’abus et la dépendance de substances psycho-actives, le trouble des conduites, les troubles anxieux, les conduites de risque et les troubles psychotiques.


Les jeunes à qui on pose le diagnostic de trouble bipolaire manifestent très fréquemment des conduites suicidaires, ainsi que des conduites à risque. Sur la base d’une étude portant sur 405 jeunes de 7 à 17 ans, Goldstein et al. relèvent des antécédents de tentative de suicide chez 32% de sujets bipolaires. De plus, 50% des adolescents bipolaires rapportent des événements traumatiques dans leur enfance tels que des mauvais traitements, abus sexuels, de même qu’une problématique suicidaire. Ainsi, un diagnostic précoce associé à une prise en charge adaptée constituerait très certainement un mode de prévention efficace contre le suicide.


Les facteurs aggravants du risque suicidaire


La fréquence des cycles rapides chez les jeunes représente, là encore, un facteur d’aggravation du risque suicidaire. A cela s’ajoutent comme autres facteurs de risque: un épisode dépressif de début rapide, un retard psychomoteur, une symptomatologie psychotique, un vécu familial de trouble affectif, ainsi qu’un virage maniaque ou hypomaniaque survenu à la suite d’un traitement par antidépresseur.


Les difficultés diagnostiques du trouble bipolaire juvénile


On met souvent lʼaccent sur l’insuffisance de reconnaissance et de diagnostic du trouble bipolaire dans la population en général, notamment en France, malgré une acceptation patente par la communauté scientifique internationale. La démarche diagnostique demeure très complexe et on note souvent que le trouble du déficit de lʼattention avec hyperactivité est souvent surdiagnostiqué (au détriment de la bipolarité juvénile).


Malgré l’étude du trouble bipolaire qui a largement progressé depuis 1986, cette affection demeure sous-évaluée et mal diagnostiquée chez les enfants et les adolescents. Nombreux psychiatres nient encore la possibilité d’une dépression ou d’une manie bipolaire dans le fonctionnement psychique encore immature de l’enfant, et de même, doutent de sa survenue avant l’âge adulte. Encore à ce jour, certains professionnels de santé mentale conservent l’idée que le trouble bipolaire n’apparaît que rarement avant l’adolescence.


Cette conception fait alors courir le risque de ne pas en reconnaître les premières manifestations. Ainsi, l’agressivité, les sautes d’humeur et l’irritabilité sont davantage perçues comme l’expression d’un trouble hyperactif avec déficit d’attention ou plus simplement encore comme un trouble des conduites ou encore comme lʼexpression dʼun dysfonctionnement familial ou encore comme une défaillance ou maltraitance parentale.


Malgré des symptômes visibles depuis la tendre enfance


Les principaux premiers symptômes se manifestent dans un contexte scolaire où les difficultés d’apprentissage, la distractibilité et l’hyperactivité deviennent très prégnants pour au moins 90% des enfants présentant un trouble bipolaire pédiatrique. Ceux-ci ne parviennent que difficilement à gérer les critiques et réagissent de manière excessive aux interdits et à la remise en question de leur comportement


De plus, les symptômes caractéristiques observés rétrospectivement chez ces enfants (âgés de 1 à 6 ans) incluent principalement l’irritabilité et la perte du contrôle. Ils se distinguent par les manifestations suivantes: crises de colère, impulsivité, agression, diminution de la durée de lʼattention, hyperactivité, irritabilité et manque de tolérance à la frustration.


Dans une étude plus récente, les symptômes les plus fréquemment rencontrés chez les enfants préscolaires (3 à 7 ans) étaient l’irritabilité (84,6%) et l’agressivité (88,5%), la plupart de ces enfants ayant été décrits comme hyperactifs. Pour être retenue, l’irritabilité devait toutefois être chronique et non pas épisodique, sévère et l’agressivité excessive. L’agressivité semble donc être une constante du trouble bipolaire en particulier chez les enfants et les adolescents. Hans Steiner démontre que ces adolescents atteints de trouble de l’humeur manifestent une agressivité du type affectif, réactif et défensif, non pas de manière intermittente, mais le plus souvent sous forme d’une escalade.


Dans un monde en pleine évolution


Cette complexité du champ nosographique met en lumière que la psychopathologie infantile du XXIe siècle ne ressemble plus à celle des années 70 ou 80. De même, une approche clinique centrée sur les troubles mentalisés et les conflits intrapsychiques ne suffit plus à rendre compte des manifestations psychopathologiques de cette nouvelle population de jeunes dont la vie fantasmatique paraît s’effacer sous la pression de l’action perpétuelle, du passage à l’acte et du poids des facteurs contextuels (influence de la télévision et de la violence véhiculée par les médias, des mouvements sociaux, de la défaillance des fonctions parentales etc.). On peut donc se permettre de conclure que les enfants d’aujourd’hui agissent plus que ceux d’il y a une vingtaine d’années. Ils se développent dans le contact avec les autres, dans l’action immédiate, dans la satisfaction sans délai de leurs besoins.


C’est dans le contexte de cette mutation sociologique qui touche aussi aux mœurs, aux valeurs traditionnelles, famille et école, que le trouble du déficit de lʼattention avec hyperactivité et le trouble bipolaire juvénile délimitent un nouveau champ psychopathologique: celui des troubles des affects et des conduites qui puisent leurs origines dans le dysfonctionnement neurophysiologique du cerveau et sont sous-tendus par un déterminisme à la fois familial, éducationnel et génétique.


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