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9/12/2014
Auteur : Dr Hantouche
Bipo / Cyclo > Bipolarité adulte > Traitements
Quand on souffre dʼun trouble bipolaire de type I, lʼobjectif du traitement sʼimpose de manière évidente : traiter les épisodes aigus et protéger contre la survenue de nouveaux épisodes. Mais quand on souffre de trouble cyclothymique, la réalité thérapeutique est plus complexe
Définition de la stabilisation de la bipolarité
La « Stabilisation » est lʼobjectif ultime du traitement de la bipolarité ; En effet, le traitement, quʼil soit pharmacologique et/ou psychologique, doit viser le cœur de la maladie, à savoir la récurrence des épisodes et lʼatténuation des dimensions affectives persistantes entre les épisodes. Cela dit, la définition nʼest pas aussi simple car il nʼy a pas une seule forme de bipolarité et surtout chaque patient vit sa bipolarité de manière individuelle et spécifique en fonction de son vécu, sa personnalité, son tempérament, son environnement…
Ainsi, lʼobjectif « stabilisation » doit être défini au cas par cas et taillé sur mesure pour chaque patient traité. Une des difficultés pour définir la « stabilisation », cʼest quʼelle désigne un but thérapeutique « sans cible » ; en effet, le but est un « non événement » - cʼest-à-dire rester bien au long cours. Pour contrer cette difficulté, il importe de mettre en place des objectifs plus ciblés et clairs pour le patient et le thérapeute. Parfois, il est plus facile de définir une « non stabilisation » en termes de rechutes et de récurrence à cause dʼune résistance ou de non tolérance au traitement ( voir dossier : Bipolarité difficile et/ou résistante)
Synonymes de « Stabilisation »
Dans ces synonymes, la « stabilisation » doit toujours inclure les paramètres relatifs à la rémission clinique et surtout ceux en rapport avec la qualité du fonctionnement (cf post « FAST»).
Pour cela, il est important dʼavoir une évaluation initiale de ces paramètres avant dʼinstaurer le traitement. Lʼapproche développée au CTAH, désignée par « TRAMES-BP » propose une évaluation globale et complète des paramètres cliniques (nature de lʼépisode actuel) et surtout évolutifs (tempérament de base, âge de début, mode évolutif, réactivité aux médicaments) avec une évaluation du fonctionnement psychosocial actuel et entre les épisodes.
Donc, pour préparer un plan de soin visant la « stabilisation », il convient de :
Stabilisation clinique de la bipolarité
La stabilisation clinique de la bipolarité, cʼest obtenir une réponse clinique satisfaisante des épisodes initiaux avec un traitement stable dans le temps, au moins sur une durée de 12 mois pour un traitement de maintenance et de 24 mois pour achever la « base » de la stabilisation et gommer la vulnérabilité acquise par la répétition des épisodes.
Dans ma pratique, je propose aux patients lʼobjectif principal « stabilité sur 2 ans au moins » - qui pour moi, est la durée nécessaire pour gommer la vulnérabilité acquise de la bipolarité, cʼest-à-dire la vulnérabilité qui naît de la récurrence des épisodes. Donc une stabilité de deux ans est un objectif à atteindre et à garder à lʼesprit.
Au-delà de cette phase, la stratégie sʼadapte au cas par cas notamment en termes de sélection des médicaments à garder, les doses, les thérapies à ajouter au plan des soins. Après un épisode maniaque, hypomaniaque, mixte ou dépressif, certaines personnes se rétablissent rapidement. Pour dʼautres, le rétablissement est un processus graduel. Souvent, il faut quelques mois avant que la personne puisse fonctionner comme avant, même après que les symptômes du dernier épisode ont disparu. Le délai de rétablissement suscite souvent de lʼimpatience chez les personnes atteintes de trouble bipolaire. Les fournisseurs de soins de santé doivent donc expliquer lʼétape du rétablissement aux patients, à leur famille et à leur employeur. Le rétablissement est un processus de longue haleine.
Les médicaments représentent la pierre angulaire du traitement du trouble bipolaire, car ils sont nécessaires pour que le patient retrouve son bien-être. Plusieurs médicaments sont couramment prescrits pour le trouble bipolaire. Une certaine surveillance et des discussions avec vos médecins seront nécessaires pour trouver la dose qui vous convient. Les médicaments ont pour rôle dʼéliminer vos symptômes et de prévenir leur récurrence. Sans traitement, la plupart des personnes atteintes auront une rechute environ deux ans plus tard. Les médicaments font plus que traiter les symptômes, ils les empêchent de revenir. En effet, une personne est beaucoup plus susceptible de demeurer en bonne santé si elle continue de prendre ses médicaments que si elle arrête de les prendre. Le traitement dʼentretien à long terme repose sur le type de maladie. Pour certains, il peut suffire de prendre des médicaments pendant un ou deux ans. Cette stratégie ne convient quʼaux personnes qui nʼont eu quʼun seul épisode léger nʼayant pas causé trop de problèmes. Un traitement plus long est recommandé pour la plupart des gens. Souvent, il est préférable de maintenir le traitement en permanence.
Bon nombre de personnes atteintes de trouble bipolaire, mais pas toutes, ont besoin de conseils, comme :
Stabilité fonctionnelle de la bipolarité
Avoir la santé nʼest pas synonyme de « disparition totale des épisodes ou des résidus cliniques de la bipolarité ».
En fait, il y a des cas qui réagissent merveilleusement au traitement mais avec un niveau de fonctionnement assez réduit et dʼautres qui répondent partiellement au traitement et arrivent à fonctionner correctement au niveau social et professionnel. Cela signifie que lʼévaluation du traitement doit tenir compte de cette dualité clinique et fonctionnelle.
Un épisode de dépression ou de manie bouleverse généralement la routine quotidienne de même que la vie professionnelle, scolaire et familiale. Certaines personnes ont lʼimpression que rien ne sera jamais plus comme avant, et quʼelles ne pourront reprendre les activités quʼelles ont dû interrompre. Il est tout à fait naturel dʼéprouver ces sentiments. Cependant, une fois que les médicaments ont stabilisé leur état, la plupart des personnes atteintes de trouble bipolaire peuvent retourner à leurs responsabilités et activités habituelles. Pour que cette transition soit fructueuse, il est essentiel de fixer des objectifs et des priorités appropriés. Le fait dʼaccepter trop ou trop peu de responsabilités pourrait se répercuter sur la qualité du rétablissement. Le but consiste à adopter un rythme qui convient au mieux aux capacités de la personne, tant dans la reprise des études ou dʼun travail ou des responsabilités familiales et sociales
Bipolarité : lʼimpact dʼune maladie récurrente et chronique
En plus des facteurs liés à la bipolarité, sʼajoutent dʼautres facteurs de stress relatifs au diagnostic, à lʼévolution et au traitement. En effet, la succession dʼévénements stressants constitue une caractéristique de base de lʼévolution naturelle du trouble bipolaire, depuis les symptômes précoces et lʼannonce de son diagnostic jusquʼaux traitements complexes et répétés, à leurs effets secondaires à court et à long termes, aux symptômes évoquant la possibilité dʼune rechute et aux périodes de bilan, réactivant la peur de la récurrence.
Il est également très probable que de nombreux individus éprouvent des difficultés, biologiques et/ou psychologiques, dʼhabituation à la répétition de facteurs de stress de nature similaire, en particulier lorsque ceux-ci symbolisent une menace existentielle. Ce sont alors, au contraire, des processus de sensibilisation, biologique et comportementale, qui caractérisent lʼaccumulation de la charge allostatique.
En raison dʼun mode évolutif, chronique et récurrent, les patients bipolaires vivent un stress chronique obligeant lʼorganisme à sʼadapter et à lutter, ce qui amène lʼabsence dʼextinction des réponses biologiques – comme si la menace ne disparaît pas. Du fait de lʼévolution naturelle de la maladie, lʼappréciation objective et précise du moment où la menace peut être considérée comme passée sʼavère pour le moins difficile. A moins dʼaider les patients bipolaires à une adaptation psychologique en apprenant à appréhender les différents stress générés par la maladie et ses conséquences et limiter autant que possible les excès « inutiles » de stress. En fait, grand nombre de patients vivent dans la peur de rechuter et dʼautres mènent un style de vie qui, lui-même, génère des stress et une majoration des facteurs de risque.
La fresque de la stabilisation
Vivre avec une maladie chronique et récurrente renvoie aux phénomènes de résilience et de « croissance post-traumatique ». Selon le modèle traditionnel, le trouble représenté par le syndrome de stress post-traumatique constitue un état dʼhyper-vigilance et de reviviscence traduisant le défaut dʼextinction dʼune réponse à une menace passée. Mais quand le danger de récurrence est réel, cela paraît a priori peu compatible avec la phénoménologie post-traumatique. Ainsi, il convient de concilier la persistance de menace objective avec la rupture permanente du « déni dʼimmortalité ». Tout traitement doit aider la personne à atténuer les dérèglements des réponses émotionnelles (qui sont au cœur de la bipolarité) et améliorer les fonctions cognitives relatives à lʼanticipation de lʼavenir.
Plusieurs ingrédients (ou processus) sʼavèrent nécessaires pour être dans le « bon chemin » de la stabilisation dʼun trouble bipolaire
Comme le montre la figure en bas de lʼécran, ces ingrédients se placent sur une continuité où chaque ingrédient prépare un autre avec un renforcement réciproque et continu. Toutefois, il convient de souligner le fait que la stabilisation nʼest pas un objectif statique et acquis ; il est plutôt dynamique, progressif et surtout demande un certain effort continu (discipline, constance, vigilance, routines positives, suivi…). Dans ce contexte et en lʼabsence de destination finale, cʼest le « trajet » qui sʼavère être plus important.
Les étapes de stabilisation selon Juliette
extrait du témoignage de Juilette
Pour les cyclothymiques, cʼest dʼautant plus compliqué que contrairement aux bipolaires type 1 et 2, nous ne connaissons pas de période dʼeuthymie. Nos humeurs ne nous offrent aucune accalmie et nous ne vivons pas ces mois voire années de bon fonctionnement. Dʼautre part, souvent nous commençons à être malade très jeunes : nous nʼavons alors pas de souvenir de période de bien être auquel nous référer. Nous nʼavons pour ainsi dire jamais été bien. Si être stable signifie la fin de la souffrance, cela veut dire quʼaller bien consiste à découvrir un monde espéré mais inconnu.
Visiblement, quand on parle de bipolarité, lʼaccent est mis sur les souffrances à soigner, mais peu de choses sont dites sur la stabilisation. Cʼest pourquoi jʼécris ce texte aujourdʼhui. La stabilisation, cʼest tellement important ! Et quand on y parvient, comme moi, on va de découverte en découverte. Ces découvertes, les voici :
Etapes de la stabilisation de Juliette | |
Phase 1 : lʼignorance | Comment sait-on quʼon est stabilisé ? « Quand jʼai appelé mes amis pour leur annoncer la bonne nouvelle, ils mʼont dit quʼils le savaient déjà ! Mais jʼétais convaincue que non. » Besoin de psycho-éducation et de connaissances sur le trouble et les effets attendus du traitement |
Phase 2 : lʼannonce | Qui va nous dire quʼon est stabilisé ? En premier, le médecin, le psychologue et aussi les proches – les autres constatent plus facilement lʼévolution positive avant le patient (donc restez ouvert aux opinions des autres) |
Phase 3 : le déni | Avoir un regard lucide sur soi Prendre le temps de connaître le trouble et ses pièges |
Phase 4 : le doute | Et si ce nʼest pas vrai ? Admettre que les certitudes soient exceptionnelles et quʼune dose de doute est tout à fait normale Une grande partie de la « réalité » est souvent influencée par notre conscience |
Phase 5 : la peur de guérir | Ma maladie = mes repères ; la stabilisation = lʼinconnu ! Eviter les pièges lʼauto-observation en permanence la peur obsédante de la rechute lʼinterdiction de profiter de sa stabilité |
Phase 6 : lʼacceptation | Etre prêt pour « vivre » sa stabilité Apprendre à gérer sa maladie Reconnaître les symptômes Se soigner pour me stabiliser Apprendre à profiter de la stabilité si chèrement acquise (se sentir le mérite dʼêtre stable et différente) Savourer, exploiter, vivre… |
La stabilité chez les cyclothymiques : avant et après !
Le traitement de la bipolarité est garant du rétablissement ou « retour à la normale » - mais quelle normalité ? Est-ce lʼétat pré-morbide, cʼest-à-dire avant lʼéclosion du dernier épisode ? Avant le début du trouble ? Cela dit, pour beaucoup de patients, il existe des dérèglements même avant la survenue du premier épisode.
Ainsi, le traitement doit tenir compte, en plus des épisodes, des facteurs qui persistent entre les épisodes et des facteurs qui pré-morbides (présents avant les premiers épisodes majeurs). Ces derniers sont le mieux définis par la typologie des tempéraments affectifs.
Pour les cyclothymiques, le traitement doit tenir compte des oscillations perpétuelles et persistantes entre les épisodes et de leurs conséquences sur la personnalité et lʼestime de soi.
AVANT | APRES |
Variations thymiques brutales, inexpliquées et intenses | Variations sans « pic », expliquée et modérées |
Récidives dépressives avec impact péjoratif sur le fonctionnement | Des passages vers le « bas » gérables sans incidence sur le fonctionnement |
Trop de réactivité et de sensibilité émotionnelles | Juste ce quʼil faut |
La vie en « Tout ou Rien » « Noir ou Blanc» | Toute la gamme des « gris » et des couleurs |
Etre victime de la vie | Devenir responsable de soi |
Etre dur avec soi | Apprendre lʼauto-clémence |
Auto-surveillance, peur de lʼéchec, se focaliser sur lʼinaptitude et les obstacles, exigences de standards assez élevés | Vigilance, envie et audace dʼentreprendre, accepter ses imperfections, apprendre le laisser faire, devenir plus « souple » |
Passer sa vie dans lʼévitement et lʼignorance de soi (pire la « double ignorance » de soi) | Envie de se rencontrer, se connaître, dʼêtre soi-même |
Ignorance et dépassement des limites | Respecter ses propres limites |
Penser juste à survivre | Vivre simplement |
Passer sa vie en se comparant aux autres | Sʼaccepter et vivre sa propre vie ; devenir son « propre témoin » (se comparer à soi-même et voir les changements) |
Absence de projection dans lʼavenir | Faire des projets et croire en soi même si on ne possède pas toutes les preuves de « guérison » |
Des gênes et des thérapies pour stabiliser les bipolaires et les cyclothymiques
Les TOC, troubles obsessionnels compulsifs : synthèse
Intérêt de la remédiation cognitive chez les enfants bipolaires
L’importance des rythmes dans les troubles de l’humeur et l’anxiété
Faire la part entre la personne et la cyclothymie