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Un self-management spécifique pour la cyclothymieUn exercice utile pour sonder son espritUn Bon traitement pour la cyclothymieSurconsommation des antidépresseurs chez les patients bipolairesStress et charge allostatiqueSe soigner sans que la vie devienne ennuyeuseQuels sont les risques des anti-dépresseurs dans la bipolarité ?Prise en charge psychologique de la dépression bipolairePremiers traitements des nouveaux bipolairesPeut-on se passer dʼantidépresseurPeut-on considérer le Trouble bipolaire comme une maladie organique ?Oméga3 et troubles de l’humeurN-AcétylCystéine (NAC) dans les troubles bipolaires et les troubles associésManie, acide urique et goutte : quels rapports ?Lithium augmentation dans les dépressions résistantesLes cyclothymiques sont-ils à ce point difficiles à soigner ?Les bonnes séquences pour soigner la cyclothymieLe bonheur et lʼApprentissage de lʼÉchec selon Tal Ben ShaharLa TCC est-elle efficace contre la dépression ? La remédiation cognitive chez les patients souffrant de troubles anxieux et de lʼhumeurKetamine et bipolarité résistanteIntroduction à la thérapie des schémasIntolérance à LamotrigineImpossibilité de changer le tempéramentImpact des tempéraments sur la santé physiqueHygièene de vie pour les bipolairesEMDREfficacité du Xeroquel® dans le spectre bipolaireDépression, bipolarité et inflammation chroniqueChoix des thymorégulateursCharge allostatique, cortex préfrontal et amygdaleBonheur et Optimisme selon SeligmanBipolarité Résistante : Quel espoir peut-on attendre ?Avoir une bonne santé mentaleAutour d‘AbilifyAntidépresseurs dans les troubles bipolaires : que disent les études ?Antidépresseurs dans la Dépression avec Hypomanie Sub-SyndromiqueAller vers une psychopharmacologie hippocratique
37 : Lʼangoisse ! Quelle soeur jumelle !36 : Quelques moments de sérénité dans un monde35 : une vie vraiment difficile34 : Maudite hypersensibilité33 : La MDPH me refuse encore un emploi protégé32 : J’écris sous le coup de la peur. 31 : Moi, les autres, le boulot30 : Une souffrance qui n’a pas de nom29 : Prescrivez moi une autre personnalité28 : mes conseils sur la prise des médicaments27 : Je reprends mon journal26 : j’ai besoin de mon day-dreaming25 : L’angle de vue de ma maladie évolue avec le temps24 : Un fond d’angoisse et d’insatisfaction23 bis : guérir au dépend d’une partie de mon imagination23 : patient partenaire22 : Je relis ce que j’ai écrit il y a des années21 : Besoin de construire un présent, penser au futur20 : Je suis stable, mais...19 : Ecrire, çà me déprime18 : Ma réactivité aux psychotropes17 : La question de la dysphorie me tarabuste encore16 : La maladie est une expérience de ma vie15 : rechutes, TOC, délire, insécurité, détresse14 : Chauffarde de la vie13 : La maladie bipolaire serait-elle fatalement le malheur de l’autre ou la déchirure du couple ?12 : Un peu de sagesse pour réduire la chimie de mon traitement11 : Je participe à un forum10 : L’art d’être la seule personne â me comprendre09 : J’en ai marrrrrreeeeeeeuuuuuuu !!08 : couple atypique ?07 : suis-je en dehors des conventions d’une maladie normale ?06 : une journée typique qui se répète05 : Je donnerais n’importe quoi pour sortir de ce puits sans fond04 : Aujourd’hui c’est la tristesse qui me fait écrire03 : Pourquoi autant de plaintes sans fins ?02 : Des petits matins où le café n‘a pas le même goût 01 : Comment être bipolaire aujourdʼhui

Le mot en S

9/12/2014

Témoignages > Vécu sous traitement

Juliette raconte la stabilisation de sa bipolarité, ce que cela signifie, ce que cela lui apporte.
"Quand un chat qui sʼest fait battre pendant des années nʼest plus battu, il va continuer à se comporter comme si ça pouvait encore arriver, et il va mettre longtemps à accepter quʼon lui caresse le ventre"
Vincent Trybou

« Maintenant que vous êtes stable, allez-vous enfin mettre des jupes ? »
Dr Elie Hantouche

« Stabilité :
Qualité de ce qui est stable, de ce qui tend à conserver sa position dʼéquilibre
Caractère de ce qui se maintient tel, sans profondes variations, pendant un temps assez long
Caractère de quelquʼun qui est stable
»
(Dictionnaire Larousse)

Quand on apprend que lʼon souffre dʼun trouble bipolaire, on apprend en même temps la dure réalité : la bipolarité ne se guérit pas. Mais elle se soigne, et quand le soin est efficace, et que la personne bipolaire va bien, on dit dʼelle quʼelle est stabilisée. Tout bipolaire espère sa stabilisation, en rêve, y croit, nʼy croit plus. Le mot en S est sur toutes les lèvres des bipolaires. Mais pour un bipolaire, aller bien, ça veut dire quoi ?
Jʼai cherché sur le site du CTAH une définition de la stabilisation. Je nʼen ai pas trouvé. Elle est mentionnée dans beaucoup dʼarticles comme un but à atteindre, mais jamais expliquée. Est-ce si évident, quʼaucune précision nʼest nécessaire ? Même dans le « Dico de lʼHumeur » du site, le mot ne paraît pas.
En tapant « trouble bipolaire stabilisation » sur un moteur de recherche, on trouve des questionnements de malades, (« quʼest-ce que la stabilisation ? », « comment sait-on quʼon est stabilisé ? »), des témoignages de bipolaires qui attendent la stabilisation, ou, plus rarement, qui y sont parvenus. Mais toujours pas de définition.
Jʼen connais une, dont jʼignore la source mais que je me souviens avoir lue quelque part il y a des années : « on dit dʼun bipolaire quʼil est stabilisé quand il nʼa connu aucune dépression ou hypomanie sur une période de deux ans ». Est-ce suffisant ? Est-ce vrai pour tous les bipolaires, quel que soit le type de bipolarité ?
Quand jʼai appris mon diagnostic de bipolaire cyclothymique, jʼai cherché des informations sur le net et ce que jʼy ai trouvé mʼa terrifiée. Des témoignages de personnes terriblement en souffrance, des descriptions angoissantes de la maladie et du parcours thérapeutique. Jʼy lisais ce quʼétait aller mal quand on est bipolaire, mais pas dʼinformation sur une vie de bipolaire stable. Je sais que lire un témoignage sur la stabilisation mʼaurait fait beaucoup de bien.
Les témoignages de bipolaires stabilisés sont rares, principalement parce quʼils sʼexpriment sur internet quand ils sont en souffrance et en questionnement pour aller mieux, puis, une fois stables, ils quittent le net pour vivre leurs vies.
Jʼai fait un petit sondage sur bipolaire-info, en posant la question : « pour vous, la stabilité, cʼest quoi ? ». Ceux qui mʼont répondu, non stables, ont supposé que cʼétait la fin des excès, une bipolarité domptée tout en ayant conscience quʼelle est toujours là, la fin des troubles comorbides (TAG, TOC, phobie sociale, hyperréactivité). Une vie « normale », avec un travail, un entourage, des activités vécus paisiblement. Etre comme les autres. Les bipolaires donnent plus de détails quand ils imaginent la stabilisation que les articles que jʼai trouvés !
Nous bipolaires savons tout ce quʼaller mal à cause de sa bipolarité signifie. Nous en faisons lʼexpérience, et en nous informant, nous apprenons à mettre des mots sur ces souffrances, à les reconnaître, y réagir. Mais ce quʼaller bien représente nʼest pas si clair.
Pour les cyclothymiques, cʼest dʼautant plus compliqué que contrairement aux bipolaires type 1 et 2, nous ne connaissons pas de période dʼeuthymie. Nos humeurs ne nous offrent aucune accalmie et nous ne vivons pas ces mois voire années de bon fonctionnement. Dʼautre part, souvent nous commençons à être malade très jeunes : nous nʼavons alors pas de souvenir de période de bien être auquel nous référer. Nous nʼavons pour ainsi dire jamais été bien. Si être stable signifie la fin de la souffrance, cela veut dire quʼaller bien consiste à découvrir un monde espéré mais inconnu.
Visiblement, quand on parle de bipolarité, lʼaccent est mis sur les souffrances à soigner, mais peu de choses sont dites sur la stabilisation. Cʼest pourquoi jʼécris ce texte aujourdʼhui. La stabilisation, cʼest tellement important ! Et quand on y parvient, comme moi, on va de découverte en découverte. Ces découvertes, les voici.

Se réveille-t-on un jour en sʼexclamant « ça y est, je suis stable ! » ?
Je ne sais pas pour les autres, mais moi, je ne mʼen suis pas rendue compte par moi-même. La prise de conscience de ma stabilité a suivi différentes étapes.

Phase 1 : lʼignorance.


Je sais aujourdʼhui que jʼétais stabilisée depuis longtemps avant dʼen prendre conscience – et encore, il a fallu quʼon me le dise plusieurs fois ! Alors que tout bipolaire en souffrance espère sa stabilisation si ardemment, comment est-ce possible dʼy parvenir sans sʼen rendre compte ? Comment ne pas noter la fin de la douleur ? La vie quotidienne qui change ? On peut supposer que quand on vit longtemps la maladie, on remarque sa disparition ! Eh bien non, ce nʼest pas si simple. Lʼexpérience de la maladie mʼavait marquée, et cela mʼempêchait dʼavoir un regard lucide sur mon état.

Phase 2 : lʼannonce


Lʼannonce de la stabilité et sa réception constituent une séance bien confortable pour le thérapeute qui nʼa alors quʼà répéter la même chose, reformulée de temps en temps pour ne pas non plus paraître simplet.
Voici un extrait de la mienne :
« Je suis stabilisée ?
- oui Juliette vous êtes stabilisée
- jʼai réussi ?
- oui vous avez réussi
- je suis stabilisée ?
- oui vous êtes stabilisée
- je peux avoir des projets ?
- oui Juliette vous pouvez avoir des projets »
Et encore, et encore…
Je nʼoublierai jamais ces moments. Jʼétais transportée par la joie mais aussi bouleversée par un sentiment intense de soulagement. Je lʼavais fait. Après toutes ces années, jʼy étais parvenue. Jʼavais gagné contre la maladie… Je suis rentrée chez moi et jʼai pleuré.

Phase 3 : le déni


Je me dis que cela ne peut pas être vrai. Que mes psys sont en plein délire. Que je mʼen serais rendue compte, tout de même !
Cʼest pourquoi, pour prouver que non, je ne suis pas stabilisée, je décide dʼétablir la liste de ce qui ne va pas chez moi.
Je suis systématiquement en retard à mes rendez-vous et je loupe parfois des trains. Je ne fais rien toute seule. Mes amis sʼinquiètent pour moi. Jʼachète nʼimporte quoi. Je bois seule chez moi. Jʼai des pensées qui fusent et qui mʼempêchent de dormir…
Le problème de cette liste, est que jʼai dû rayer une après lʼautre mes affirmations. Je les ai écrites par réflexe, mais jʼétais bien obligée dʼadmettre quʼelles nʼétaient plus vraies, et pour certaines, depuis longtemps. Jʼai alors pris conscience quʼeffectivement, jʼavais gardé une idée de ma vie et de moi-même qui ne correspondaient plus à la réalité.

Phase 4 : le doute


Et si mes psys me racontaient nʼimporte quoi ? Sʼils voulaient juste me faire plaisir ? Sʼils pratiquaient la méthode Coué ?
Là non plus, cela ne tenait pas. Ils nʼauraient pas osé me mettre en confiance sachant que je mʼexposerais alors à des prises de risque dangereuses et quʼils devraient me rattraper après.
Ou alors, cʼétait calculé dans lʼoptique de me faire rechuter afin de me soigner encore et de financer la construction dʼune piscine au CTAH…
Mais il nʼy a toujours pas de piscine au CTAH !

Phase 5 : la peur


Et oui, après des années à rêver de stabilisation, elle mʼa fait peur.
Je ne me connaissais que bipolaire et malade, je ne vivais ma vie quʼen fonction de la maladie. Et aussi inconfortable cette vie fut-elle, elle mʼétait familière, jʼy avais mes repères, je la connaissais par cœur. La stabilisation, cʼétait lʼinconnu. Cʼest grisant, mais aussi effrayant. Quʼest ce qui mʼattend maintenant ?
Je ne me connaissais que Juliette bipolaire. Juliette stabilisée, cʼest qui ? Je ne connaissais que la maladie psy. Aller psychiatriquement bien, cʼest comment ?
Et si je mʼhabituais à ce bonheur et que je perdais tout à nouveau ? Et si, après tout cet espoir, une fois le but atteint, jʼy goûtais puis rechutais ?
Cette inquiétude était le fruit dʼune logique malade. Vincent Trybou me lʼavait prouvé, mon traitement et ma connaissance de la maladie me protégeaient de toute rechute grave.
Par ailleurs, si ce nʼest plus la maladie qui est aux commandes, cela veut dire que cʼest moi ! Mais alors, si je rate quelque chose, si je me comporte mal, je ne pourrai plus dire que cʼest parce que je suis malade. Après des années à accepter les erreurs commises à cause de la maladie, et à travailler à ne pas mʼen vouloir, désormais, je serai responsable. Peut-être vais-je faire du mal et je nʼaurai plus dʼexcuse.
En vérité cette phase est encore le fruit dʼune pensée tronquée. Il faut alors une estime de soi et une confiance en soi suffisamment solides pour la chasser.

Phase 6 : lʼacceptation


Je finis par ouvrir grand les yeux et me rendre à lʼévidence : « oui, je suis stabilisée ! » Et la relation que jʼai avec moi-même et avec ma vie ont commencé à changer.

Mais comment ai-je pu être stabilisée depuis un moment sans le savoir ?


Vincent Trybou mʼa dit que le Dr Hantouche avait noté depuis longtemps dans ses dossiers que jʼétais stable. Quand jʼai appelé mes amis pour leur annoncer la bonne nouvelle, ils mʼont dit quʼils le savaient déjà !
Mais jʼétais convaincue que non.
En ce qui concerne lʼhumeur, jʼai objecté à Vincent Trybou la fameuse règle lue quelque part qui dit quʼon est stabilisé quand on nʼa pas eu dʼhumeur problématique pendant deux ans, ce qui nʼétait pas mon cas.
Il mʼa répondu que la règle des deux ans ne pouvait pas sʼappliquer aux cyclothymiques. Les cyclos, de par leur nature, ont inévitablement des changements dʼhumeur. Un cyclothymique, même stabilisé, continuera à en avoir. La différence, cʼest quʼils ne lʼempêcheront pas de vivre, et que les plus gros changements dʼhumeur seront dus non pas à la maladie, mais à lʼenvironnement.
Je lui ai parlé de ma grosse rechute qui avait eu lieu trois ans auparavant, et qui avait duré longtemps. Il mʼa expliqué que cette perturbation de lʼhumeur était la conséquence dʼun changement de traitement. Ce nʼest pas la maladie qui avait repris le dessus, cʼétait mon traitement qui ne me protégeait plus, la preuve étant quʼune fois le bon traitement rétabli, mon humeur est redevenue bonne. Ce nʼétait donc pas une rechute.
Alors jʼai objecté que juste quelques mois auparavant, jʼavais été obligée dʼaugmenter mon traitement sur quelques semaines à cause dʼune chute de lʼhumeur, je ne pouvais donc pas être stable ! Il mʼa répondu que là encore, le changement dʼhumeur avait une explication rationnelle, en lʼoccurrence une grosse contrariété, et que là encore, une fois le problème émotionnel réglé, mon humeur sʼétait rétablie : la maladie nʼen était pas la cause. Ce nʼétait donc pas une rechute non plus.
Il mʼa expliqué que « Les gens souffrant de cyclothymie ont, de base, une hypersensibilité émotionnelle : les évènements qui touchent moyennement les gens standard touchent très fort les cyclos. » Par conséquent, face à une épreuve de la vie, que tout le monde est amené à rencontrer, les cyclothymiques réagiront plus fortement et seront affectés plus longtemps que quelquʼun dʼautre, même en étant stabilisés. Mais un cyclothymique stabilisé finira par se remettre de ce bouleversement, quand un cyclothymique non stable chutera en dépression ou montera en hypomanie.
En fait, la stabilité, ce nʼest pas ne plus avoir de changement dʼhumeur du tout. La stabilité, cʼest lʼhumeur qui change pour une bonne raison, et non plus parce que cʼest la maladie qui commande. Cʼest aussi retrouver une humeur saine quand le problème qui a provoqué la perturbation de lʼhumeur est réglé.
Jʼignorais cela, et ne pouvais donc pas savoir que jʼétais stabilisée.

Par ailleurs, le fait est que vivre longtemps la maladie nous donne des habitudes et de pensées et de comportements qui ne sʼen vont pas tout seuls quand on va mieux. Jʼai fait si fortement lʼexpérience de la vulnérabilité, de lʼinstabilité, que lʼamélioration de mon humeur et la disparition de ses changements brutaux ne mʼont pas suffi pour perdre les réflexes de pensées et dʼémotions acquis par cette expérience. Je savais que jʼavais fait des progrès, mais je craignais de les perdre et de devoir tout reprendre à zéro. Je continuais à vivre dans la peur du prochain malheur, de la situation qui allait me déséquilibrer, de la prochaine catastrophe thymique qui arriverait sans préavis et anéantirait tout sur son passage.
De la même façon, je pratiquais lʼauto-observation en permanence alors que ce nʼétait plus utile. Je lʼavais fait tellement longtemps par stricte nécessité, afin de parer à des symptômes forts, que je la pratiquais toujours sans avoir le recul qui mʼaurait permis de conclure que ce nʼétait plus pertinent du tout.
Alors, dʼune certaine façon je mʼinterdisais inconsciemment de profiter de mon nouvel équilibre, afin de moins souffrir le jour où il serait anéanti par une nouvelle catastrophe. Et dans ces conditions, je ne pouvais pas prendre conscience de ma stabilité.
Vincent Trybou mʼa parlé de la notion dʼimpuissance acquise, étudiée par le psychologue Martin Seligman, qui a travaillé sur la psychologie positive. Lʼimpuissance acquise, cʼest comment un parcours de vie a pu nous faire rencontrer des obstacles qui nous ont dissuadés de croire en nos capacités et nos ressources. A force de faire lʼexpérience dʼune absence de contrôle sur notre environnement, nous pensons avoir la preuve quʼil nʼest même plus la peine dʼessayer.
Lʼimpuissance acquise peut sʼappliquer à lʼexpérience de la maladie : en nous faisant accumuler les échecs, nous nous croyons incapables de réussir à faire des choses. Et cela peut durer même après la stabilisation de la maladie.
Comment ai-je donc finalement pris conscience de ma stabilité ? Quʼest ce qui a changé ?
Je sais que mon thérapeute mʼavait déjà parlé de ma stabilité avant que le mot ne parvienne à mes oreilles des mois après. Il mʼa dit que je nʼétais alors pas prête à lʼentendre.
Je crois que pour assumer sa stabilisation, il ne faut pas seulement comprendre quʼelle est là : il faut aussi des doses suffisantes de confiance en soi et dʼestime de soi pour lʼaccepter.
Tout dʼabord, pour penser quʼon le mérite. Cela nʼa rien dʼévident, après de si nombreuses années à se penser minable et sans valeur, dʼaccepter quʼon a maintenant accès au bien-être. De plus, il faut suffisamment de confiance en soi pour être capable dʼabandonner la peur, et de se lancer dans le bien être et le plaisir. Affronter les nouvelles situations que la stabilité offre, sʼenvisager radicalement différemment. La savourer, lʼexploiter. Mordre dans la stabilité à pleines dents !
Tout comme jʼai dû apprendre à gérer ma maladie, à en reconnaître les symptômes, à me soigner pour me stabiliser, jʼai dû apprendre ensuite à profiter de la stabilité si chèrement acquise.

Alors, concrètement, la stabilité, cʼest quoi ?


Cʼest comment, une vie de bipolaire stabilisé ?
En premier lieu, évidemment, être stable cʼest avoir des variations dʼhumeur normales pour un cyclothymique. Cʼest ne plus connaître de variations thymiques brutales et inexpliquées, ne plus être pris par surprise par la dépression ou lʼhypomanie.
Cʼest se réveiller chaque matin de bonne humeur et être content de vivre.
Un bonheur indicible !
Par conséquent, on arrête de penser à la maladie et on ne se définit plus comme bipolaire avant toute chose. On arrête de se penser bipolaire, de vivre bipolaire, de manger bipolaire…
Lʼauto-observation et la vigilance cessent dʼêtre pensées en permanence et deviennent instinctives. Tout le travail dʼapprentissage de la maladie et dʼauto-surveillance effectué pendant les années de crise a été si bien intégré, et je me connais si bien aujourdʼhui, que je nʼy réfléchis plus vraiment. Ce qui était avant obsession, devient réflexe.
Quand je sors avec mes amis, je mʼautorise à boire avec eux mais je peux aussi refuser de boire tout alcool ; je rentre tard mais je peux aussi quitter la soirée avant eux. Instinctivement, je sais ce dont jʼai besoin.
Etre stable, cʼest pouvoir se laisser aller, se détendre, croire en son instinct, avoir confiance en soi.
De la même façon, je me mets dans des situations potentiellement problématiques sans y réfléchir, parce quʼinstinctivement, je sais que je peux les assumer.
Je vais au cinéma toute seule, je tiens tête à ma chef au boulot, jʼaccepte de nouvelles responsabilités mais je sais aussi dire non à dʼautres si je nʼen veux pas.
Bien sûr, il reste des situations qui me font peur. Dans ces cas-là, soit je me raisonne en me disant que cʼest un vieux réflexe de penser que je nʼy arriverai pas, alors que je me sais aujourdʼhui capable de réussir bien plus de choses que je ne le crois, et je tente lʼexpérience. Soit je remets le défi à un autre jour car mon estime de moi-même est suffisamment bonne pour ne pas avoir un sentiment dʼéchec et pour croire quʼun jour prochain jʼy arriverai. Je ne me mets plus du tout la même pression sur les épaules.
Suis-je désormais débarrassée de tous mes problèmes ? Nʼai-je plus aucun trouble comorbide, plus aucun comportement ou pensée problématique ? Bien sûr que si ! On ne règle pas toutes ses difficultés aussi facilement, sous le prétexte quʼon est stable. Jʼai encore des TCA, je souffre encore dʼune procrastination handicapante, mon estime de moi est bonne mais pas encore solidement acquise… Je sais que cela prendra encore du temps, mais je sais aussi que si jʼai réussi à atteindre la stabilité, je suis capable de résoudre les problèmes qui restent, ou peut-être dʼaccepter que jʼaurai certaines difficultés toute ma vie.
Car être stable, cʼest aussi accepter quʼil y a des choses que lʼon a du mal à faire. Laisser tomber lʼhyperexigence, la pression quʼon se met sur les épaules parce quʼon veut tout réussir. Accepter quʼon est faillible, à cause de notre nature bipolaire. Mais accepter aussi que tout le monde est faillible et que certaines de nos difficultés sont communes à plein de gens et ne relèvent pas de la maladie ! Cela non plus nʼa rien dʼévident !
Accepter que lʼon reste fragile, mais comme le dit Vincent Trybou, « la fragilité, ce nʼest pas la faiblesse et on peut être fragile et fort en même temps ».
Par ailleurs il y a le rapport à lʼavenir qui change. Je me surprends à faire des projets, à ne pas angoisser en parlant des années qui viennent. Par exemple jʼai récemment fait des démarches pour lʼacquisition dʼun appartement. Il y a encore peu de temps, jʼaurais refusé, en me disant que le seul avenir que jʼavais devant moi à plus ou moins long terme était le suicide. Aujourdʼhui, je ne pense plus que je mourrai ainsi. Jʼaurais peut-être échoué à mener le projet à terme, paralysée par lʼangoisse de la responsabilité que représente un tel choix, et de lʼengagement qui lʼaccompagne. Mais jʼai réussi à trouver quelque chose de bien, sans me poser toutes ces questions-là.
Etre stabilisé, cʼest aussi avoir construit un environnement qui nous est favorable et nous fait du bien. Sʼêtre entouré dʼamis qui nous offrent des relations de qualité offrant une belle place au soutien, à lʼacceptation, à lʼamour aussi. De la même façon, cʼest avoir un travail qui nous convient, nous permet de maintenir notre équilibre (horaires de travail, responsabilités, nature des tâches…) Plus que ça, il sʼagit de savoir donner à son travail la place quʼil mérite dans notre vie : y accorder de lʼimportance pour sʼy épanouir, mais surtout, ne pas en faire le centre de sa vie, et savoir développer sa vie extra-professionnelle. Jʼai appris à ne plus chercher dans mon travail des preuves de ma valeur, car cela nʼest pas bénéfique. En cas dʼerreur, une telle attitude serait susceptible de me faire plonger en dépression et de remettre en cause ce que je pense de moi-même. Ne plus accorder cette importance à mon travail le dégage de toute responsabilité en ce qui concerne lʼestime de moi et mon humeur, et alors, je travaille mieux !
En fait je dirais que lʼélément essentiel de la stabilisation, ce qui fait fondamentalement la différence avec la maladie, cʼest le plaisir. Avoir envie de le rechercher, savoir lʼapprécier après des années pendant lesquelles on pense juste à la survie, incapables de jouir des plaisirs que la vie peut offrir.
Le plaisir pour moi, cʼest aller au théâtre seule, passer une soirée avec mes amis et ne plus voir dʼinquiétude dans leurs yeux, recommencer à mʼacheter des vêtements, me lancer dans une randonnée et lʼapprécier, découvrir de nouvelles musiques…
Pouvoir ressentir du plaisir et chercher à en ressentir, en vérité cʼest ce qui me bouleverse le plus.

Alors, une vie de bipolaire stable, est-ce une vie normale ? Vit-on comme tout le monde ?
Je ne sais pas ! Et je ne me pose plus la question. Ce que je sais, cʼest que ma vie me convient bien aujourdʼhui, et cʼest tout. Jʼapprends à ne plus me comparer aux autres, et je vis ma vie.
Une excellente amie me dit quʼil y a plein de gens qui ne sont pas malades et qui ont bien plus de mal à gérer leur quotidien que moi aujourdʼhui.
Ce que je sais, cʼest que tout ce chemin mʼa en un sens rendue meilleure que les autres. Avoir été obligée de travailler sur moi, dʼapprendre à reconnaître mes humeurs et mes émotions et à les gérer, mʼont permis de très bien me connaître aujourdʼhui et dʼacquérir une gestion émotionnelle que peu de personnes « normales » possèdent. Cʼest une vraie force, un avantage de taille.
Le plus drôle, est quʼaujourdʼhui certaines personnes me considèrent comme quelquʼun de très raisonnable et recherchent mes conseils !
Récemment Vincent Trybou me disait "Vous avez le même cerveau que tout le monde, avec des neurotransmetteurs qui déconnent. Quand le traitement les régule, vous pouvez jouir des mêmes fonctionnalités de votre cerveau que tout le monde: organisation, ménage, et autres. Mais comme vous avez commencé à être très malade jeune, vous nʼavez jamais pu constater que vous aviez ces fonctions possibles dans votre cerveau, et avez acquis la certitude que vous ne les aviez pas. Mais cʼest faux, vous les avez, comme tout le monde. Vous possédez déjà les ressources nécessaires, moi je ne fais que vous guider pour les découvrir et les utiliser".
Au début je ne lʼai pas cru. Moi? Le même cerveau que tout le monde? Cʼest ça ! Mais quand je me vois faire mon ménage, je repense à ça et je constate que cʼest vrai. Avec mon traitement, et le travail en thérapie, je me sens peu à peu capable de vivre ma vie non en fonction de ce que je ne peux pas faire, la preuve, je nʼai jamais réussi ; mais en fonction de mes choix : jʼai envie de faire ce que je nʼai jamais été capable de faire, je sais que cʼest possible, alors jʼy travaille.
Alors, est-ce que je porte enfin des jupes ??? Je mʼen suis acheté une, que je ne mets pas encore. Cependant, depuis quelques mois jʼutilise à nouveau du vernis à ongles, coquetterie et plaisir que jʼavais abandonnés depuis plus de dix ans. Jʼen ai de plusieurs couleurs et je les assortis à mes nouveaux vêtements.
Pour moi, la stabilité est donc bleue, rouge, orange, verte, laquée, irisée, fluo, et parfois elle a même des paillettes !

Juliette